« Basic Instinct : quand le thriller devient tabou » 

Films / Publié le 10 juin 2025 par Salvador
Temps de lecture : 6 minutes
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Film Basic instinct
Sharon Stone dans Basic Instinct

Sorti le 20 mars 1992 aux États‑Unis après une première à Cannes le 8 mai 1992, Basic Instinct est un thriller érotique explosif réalisé par Paul Verhoeven et écrit par Joe Eszterhas. Produit pour un budget évalué entre 43 et 49 M$ et distribuée par Carolco Pictures et TriStar, cette œuvre fit sensation dès sa sortie, brisant les conventions sexuelles hollywoodiennes et déclenchant une tempête médiatique mondiale.

Une intrigue envoûtante mêlant désir et danger

Le film débute avec la scène choc : le rock-star Johnny Boz est poignardé après une liaison torride et sadomasochiste, laissant le détective Nick Curran (Michael Douglas) diriger l’enquête. Très vite, la romancière fascinante Catherine Tramell (Sharon Stone), dont le dernier ouvrage ressemble étrangement au crime, devient la principale suspecte. L’enquête et la relation entre Curran et Tramell troublent la frontière entre enquête professionnelle et obsession personnelle, alors que des personnages comme le psychothérapeute ex‑amoureux Garnder (Jeanne Tripplehorn) et l’inspecteur George Gristwood (George Dzundza) viennent complexifier la toile narrative.

Paul Verhoeven : un style provocant et maîtrisé

Après ses succès roboratifs avec RoboCop (1987) et Total Recall (1990), Paul Verhoeven se fait le maestro du contre‑champ entre érotisme et violence. Il ose l’interdit et repousse les limites, défiant la censure américaine avec des scènes explicites, notamment le fameux interrogatoire avec croisement de jambes révélateur. Sa caméra joue avec la suggestion et la psyché, navigue entre néon urbain et opacité d’une San Francisco nocturne. Avec la photographie de Jan de Bont et la musique envoûtante de Jerry Goldsmith, nommée à l’Oscar, Verhoeven crée une atmosphère dense, sensuelle et inquiétante, oscillant entre maîtrise technique et provocation assumée.

Le tournage sous le feu des critiques

Le tournage, débuté en avril 1991 à San Francisco (bar Raw Hide II, rue Kearny, Carmel, et studios Warner), traverse polémiques et manifestations. Des groupes LGBT comme ACT‑UP, GLAAD et Queer Nation contestent la représentation sulfureuse de la bisexualité, jugée homophobe. Des protestations scandent le plateau, amenant même des injunctions judiciaire. Verhoeven défend son récit : « vous voulez faire un film politiquement correct ? mais le drame n’est pas politiquement correct ». Pour recevoir un rating “R”, des coupes importantes sont exigées, mais la version non censurée circulera rapidement en VHS et DVD, ravivant la controverse.

Sharon Stone : de néophyte à icône

Mister Stone, alors relativement méconnue, s’impose dans le rôle de Catherine Tramell, grâce au soutien de Verhoeven – qui l’avait déjà remarquée sur le tournage de Total Recall. Elle incarne avec intensité la femme fatale froide et cruelle. La célèbre scène d’interrogatoire, où elle croise les jambes dévoilant un flash d’entrejambe, devient culte – volontaire ou accidentel, Stone affirme s’y être sentie trahie, tandis que Verhoeven assure qu’elle était parfaitement au courant .

Cette performance la propulse au rang de star mondiale. Les critiques soulignent unanimement sa présence magnétique. Rolling Stone la qualifie de « feel‑soaked come‑on carnality », et The Sunday Times la considère comme l’un des personnages féminins les plus puissants des années 90. Ces critiques illustrent l’impact culturel de son interprétation.

Michael Douglas, le détective tourmenté

Déjà confirmé comme star avec Wall Street et Fatal Attraction, Michael Douglas incarne Nick Curran en détective sensible aux failles psychologiques . Il choisit de conduire lui-même la voiture lors de la scène de poursuite, soulignant son engagement physique dans le rôle . Dans les scènes de sexe, selon lui, c’est intense : à Cannes, voir l’interrogatoire sur un grand écran a été « a little overwhelming » pour l’équipe. Son front partagé entre fascination et angoisse offre une tension crédible, même si objectivement limité par un scénario focalisé sur le personnage féminin.

Les seconds rôles : psychiatre, flics et confidences

Autour des deux stars gravitent des interprétations efficaces mais secondaires. Jeanne Tripplehorn incarne Beth Garnder, psychologue et ancienne amante de Curran, oscillant entre compassion et soupçon. George Dzundza prête à son inspecteur Gristwood une présence solide. Leilani Sarelle, en amante de Tramell, contribue à la tension queer du récit, à l’origine des accusations de clichés homophobes. Les performances sont justes, mais la scénographie de Verhoeven privilégie la stigmatisation sensationnaliste au développement psychologique nuancé de ces personnages.

Un succès triomphal et controversé

Avec un budget d’environ 49 M$ et un box‑office mondial de 353 M$, dont 118 M$ aux États‑Unis, Basic Instinct se classe parmi les plus gros succès de 1992. Il est le 9ᵉ plus gros film de l’année. Il marque également l’émergence du genre « thriller érotique », inspirant une vague de productions similaires, souvent plus commerciales et moins ambitieuses .

Récompenses et reconnaissance critique

Le film reçoit deux nominations à l’Oscar (Meilleur montage pour Frank Urioste, Meilleure musique originale pour Jerry Goldsmith). Jerry Goldsmith remporte le BMI Film Music Award, tandis que Sharon Stone est nommée au Golden Globe et remporte deux MTV Movie Awards (Meilleure performance féminine et plus désirable. Il cumule aussi des nominations aux Razzie Awards pour Douglas, Tripplehorn et Stone. Si plébiscité pour ses qualités esthétiques et son audace, certains prix soulignent aussi l’ambiguïté morale et artistique du film.

Une empreinte culturelle durable

Basic Instinct est devenu plus qu’un film : il est un phénomène culturel, tant pour son ouverture explicite vers un érotisme mainstream que pour ses implications morales . L’image de Stone recroisant les jambes a été parodiée, citée, clippée, ponctuant la pop culture (dans Hot Shots! 2, Deadpool 2, etc.). Son influence sur les éditions vidéo R-rated et l’évolution des codes de censure est notable . Son héritage est double : fascinante icône mais polémique, source de réflexion sur la frontière entre art et exploitation.

Un film qui choque autant qu’il séduit

Basic Instinct est un bijou de provocation, magnifiquement mis en scène, avec des performances marquantes, notamment celle de Sharon Stone. Mais derrière l’érotisme sophistiqué, le film reste discutable : manipulations scénaristiques, vision de la femme perverse, traitement sensible de la sexualité controversé. Malgré tout, son importance historique et symbolique est incontestable. Œuvre d’esthète provocateur, il oscille entre thriller psychologique et expérience choc, marquant les esprits longtemps après sa sortie.

Basic Instinct est un maître‑étalon du thriller érotique, déchiré entre fascination sensuelle et remise en question morale, autant salué pour son audace que pour ses tabous. Un film culte qu’on n’oublie ni facilement, ni sans débat.

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