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Sorti en février 2016, Chocolat est un film français réalisé par Roschdy Zem, inspiré de la vie du clown Chocolat, premier artiste noir à avoir connu la célébrité en France à la fin du XIXe siècle. Porté par un duo d’acteurs puissants, Omar Sy et James Thierrée, le film mêle reconstitution historique, critique sociale et émotion brute. Bien plus qu’une biographie, Chocolat s’impose comme un drame élégant et nécessaire, qui invite à repenser notre rapport à l’histoire, au racisme et à la mémoire culturelle.
Dans une époque où la question de la représentation sur scène et à l’écran demeure au cœur des débats, Chocolat trouve une résonance particulière. À travers une mise en scène sobre et émotive, Roschdy Zem livre une œuvre profondément humaine, qui éclaire avec justesse la trajectoire aussi glorieuse que douloureuse de Rafael Padilla, alias Chocolat.
Un duo qui fait rire la France… au prix d’un lourd fardeau
Le film débute dans la France de la fin du XIXe siècle. Rafael Padilla, ancien esclave né à Cuba, survit en jouant des rôles de « cannibale » dans des foires itinérantes. Lorsqu’il rencontre le clown Footit, un artiste raffiné et méthodique, une complicité inattendue se forme. Ensemble, ils créent un duo comique où Footit incarne l’autorité et Chocolat le souffre-douleur. Ce tandem rencontre un immense succès et devient une sensation dans les plus grands cirques parisiens.
Mais derrière les rires, le masque de Chocolat cache une réalité plus sombre. Le rôle qui le rend célèbre est aussi celui qui l’enferme dans une caricature raciale. Aspirant à des rôles plus sérieux, notamment au théâtre classique, Rafael se heurte au racisme ambiant, à ses propres limites et à un système culturel qui ne lui pardonne pas son audace. Sa descente aux enfers sera aussi brutale que son ascension fut éclatante.
Chocolat n’est donc pas qu’un film sur l’histoire d’un artiste, mais sur l’effacement de l’individu au profit d’un stéréotype, et sur le combat d’un homme pour exister autrement que dans les yeux moqueurs d’un public.
Roschdy Zem : un acteur engagé devenu réalisateur de mémoire
Réalisateur du film, Roschdy Zem est avant tout connu comme acteur, avec une filmographie éclectique qui va du drame social (Indigènes) au polar (36 Quai des Orfèvres). Avec Chocolat, il signe son quatrième long métrage derrière la caméra, poursuivant une œuvre de cinéaste profondément humaniste, toujours à l’écoute des invisibles et des oubliés de l’histoire.
Zem affirme avoir été bouleversé par la découverte de l’histoire de Rafael Padilla, largement méconnue malgré son importance dans le monde du spectacle français. Son ambition avec ce film n’était pas tant de livrer un biopic classique que d’interroger notre mémoire collective et la façon dont certaines figures sont volontairement effacées de l’histoire officielle.
Le style de Roschdy Zem est ici tout en retenue. Il ne tombe jamais dans le pathos facile, préférant les silences lourds, les regards qui en disent long, les ruptures discrètes mais déchirantes. Le film s’inscrit ainsi dans la tradition du cinéma d’auteur français, tout en assumant une ambition populaire à travers un casting grand public.
Omar Sy : une performance dense et nuancée
C’est Omar Sy qui incarne Chocolat, dans un rôle à contre-emploi. Révélé au grand public par Intouchables en 2011, Omar Sy avait jusque-là surtout interprété des rôles comiques ou sympathiques. Avec Chocolat, il démontre toute l’étendue de son registre, livrant une performance poignante, habitée, souvent bouleversante.
Il ne cherche jamais à susciter la pitié, mais à transmettre l’humanité complexe de son personnage. Omar Sy réussit à incarner à la fois l’élan vital de Rafael Padilla, son désir d’exister en tant qu’artiste, et les humiliations quotidiennes qu’il doit subir. Ses scènes de théâtre shakespearien, notamment lorsqu’il récite Othello, sont particulièrement fortes : elles révèlent à quel point l’acteur est capable de se glisser dans la peau d’un homme brisé, qui refuse pourtant de renoncer à sa dignité.
Cette performance a été saluée par la critique, et a valu à Omar Sy une nomination au César du Meilleur acteur en 2017.
James Thierrée : l’élégance silencieuse du clown blanc
Face à lui, James Thierrée – petit-fils de Charlie Chaplin – incarne Footit, le clown blanc méthodique et rigide. Son jeu minimaliste contraste magnifiquement avec l’énergie d’Omar Sy. Thierrée livre une prestation subtile, toute en gestes millimétrés, en regards impénétrables et en tensions contenues.
Footit est un personnage ambivalent. Il apprécie sincèrement Chocolat, reconnaît son talent, mais reste prisonnier d’une époque et d’un système racial hiérarchisé. Leur relation, faite de respect mutuel, d’amitié réelle et d’incompréhensions cruelles, est au cœur du film. Le duo d’acteurs fonctionne à merveille, par son équilibre et sa complémentarité.
Le reste du casting soutient solidement l’ensemble, notamment Clotilde Hesme en infirmière bienveillante et Frédéric Pierrot en directeur de cirque manipulateur.
Une reconstitution historique riche et soignée
L’un des points forts du film réside dans sa reconstitution minutieuse de la Belle Époque. Costumes, décors, atmosphères : tout est soigné avec un grand souci du détail. On sent que Roschdy Zem et son équipe ont voulu restituer non seulement l’apparence d’une époque, mais son ambiance sociale et politique.
Le Paris du tournant du siècle est montré dans toute sa splendeur et ses contradictions : le faste des cabarets, l’émergence des nouveaux arts populaires, mais aussi la brutalité coloniale, l’exploitation des artistes, le racisme institutionnalisé. À travers la trajectoire de Chocolat, c’est toute une société qui se dévoile, entre progrès technologique et conservatisme social.
Le film a été tourné principalement en France, dans des lieux historiques reconstitués, avec une lumière chaude et tamisée qui renforce la sensation d’un passé à la fois proche et lointain.
Qualité technique et esthétique travaillée
Décors et costumes : coups de chapeau aux César 2017 qu’a remporté le film pour les décors (Jérémie Duchier). Les costumes et accessoires, de la tenue de clown au costume de ville, incarnent parfaitement la Belle Époque.
Cinématographie : la photographie respire l’époque, entre clair-obscur, teintes chaudes et reconstitution de lieux historiques, renforcée par une mise en lumière des scènes circassiennes .
Musique : composée par Gabriel Yared, la bande originale nommée aux César 2017 capte les contrastes de joie et de mélancolie, un fil conducteur émotionnel .
Montage et chorégraphie : sobriété narrative, montage fluide. Les scènes de clown, chorégraphiées avec virtuosité, témoignent d’un savant travail sur le rythme et le geste .
Un film nécessaire dans le paysage cinématographique français
Chocolat n’a pas remporté de récompense majeure, bien qu’il ait été nommé à plusieurs reprises aux César 2017 (Meilleur acteur, Meilleurs décors, Meilleurs costumes). Pourtant, son impact culturel a été réel. Le film a remis en lumière une figure oubliée, contribuant à ouvrir un débat sur la représentation des minorités dans l’histoire du spectacle français.
Il a aussi rencontré un certain succès en salle, avec plus de 1,9 million d’entrées en France, preuve que le public était prêt à entendre cette histoire trop longtemps passée sous silence.
Sur le plan cinématographique, il a confirmé le talent de Roschdy Zem en tant que réalisateur sensible et engagé, capable de faire dialoguer grande histoire et destin individuel. Et il a marqué un tournant dans la carrière d’Omar Sy, qui a depuis continué à explorer des rôles plus profonds et plus dramatiques.
Une œuvre entre rire et larmes, entre lumière et obscurité
Chocolat est un film rare, parce qu’il parvient à conjuguer le divertissement et la réflexion, la beauté visuelle et la douleur intime. C’est une œuvre qui touche par sa justesse, qui éclaire une partie oubliée de notre histoire collective, et qui célèbre en creux la force du théâtre, du cirque et du jeu d’acteur comme lieux d’émancipation et de reconnaissance.
Ce n’est pas un film parfait. Certains lui reprocheront une mise en scène un peu classique, un rythme parfois lent, ou un scénario qui ne prend pas assez de risques. Mais ce sont des défauts mineurs au regard de la puissance du propos et de l’émotion qu’il génère.
À une époque où les récits historiques sont plus que jamais nécessaires, Chocolat s’impose comme un film profondément humain, qui fait rire et pleurer, et surtout réfléchir. Il redonne un nom, un visage et une voix à un homme qui, trop longtemps, n’a été qu’un rôle.
Un film à (re)découvrir, pour ce qu’il dit du passé, et pour ce qu’il révèle du présent.
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