
Une ouverture qui retient le souffle
Rares sont les univers de franchise qui parviennent à retrouver, des années après, une émotion véritablement neuve ; The Ballad of Songbirds & Snakes y parvient souvent à force d’ambition formelle et de volonté de remonter aux origines du pouvoir. Sorti en novembre 2023 et dirigé par Francis Lawrence, ce préquel adapte le roman de Suzanne Collins pour raconter la jeunesse de Coriolanus Snow, futur visage du régime de Panem, et interroge la naissance d’un système fondé sur le spectacle de la violence. Le film se présente comme une fresque longue (environ 2 h 37) qui mêle politique, spectacle et mélodrame, portée par une distribution qui essaye de renouveler un matériau très codé.
La traque d’un avenir — quand Snow rencontre Lucy Gray
L’action se déroule soixante-quatre ans avant les événements que l’on connaît : Coriolanus « Coryo » Snow, étudiant brillant mais appauvri, se voit confier la mission ingrate de mentor pour une tributaire de District 12, Lucy Gray Baird. Loin d’être une simple répétition du canevas originel, le récit suit la relation ambiguë entre le mentor et la protégée au cœur du dixième anniversaire des Jeux, et montre comment les machines de pouvoir — l’école, la télévision, l’arène naissante — transforment des choix privés en calculs publics. Progressivement, le film dessine la genèse d’un homme ou, mieux dit, d’un système qui apprend à lire la peur et la rendre profitable.
Francis Lawrence : le retour d’un lieutenant de Panem
Francis Lawrence, déjà réalisateur des deuxième et troisième volets de la trilogie (Catching Fire, Mockingjay parties 1 et 2), reprend la barre du navire préquel avec une posture de vétéran de la série. Sa signature se reconnaît dans la volonté d’imposer une esthétique lourde et monumentale, et dans l’habitude d’alterner séquences de foule et plans plus intimes. Lawrence connaît l’univers et ses codes ; son retour assure une continuité esthétique tout en lui permettant d’inscrire la préquelle dans une tonalité plus sombre et parfois plus politique que certains épisodes précédents.
Blyth, Zegler et les figures d’appoint
Le film s’appuie principalement sur Tom Blyth dans le rôle de Coriolanus Snow et sur Rachel Zegler qui incarne Lucy Gray Baird ; à leurs côtés, des noms établis — Viola Davis, Peter Dinklage, Jason Schwartzman, Hunter Schafer, Josh Andrés Rivera — apportent densité et relief au plateau. Blyth compose un jeune Snow encore hésitant, parfois poignant dans ses frayeurs, tandis que Zegler investit Lucy Gray d’une incarnation à la fois folk et lumineuse : elle chante, ensorcelle et se défend. Les seconds rôles, de la sinistre Dr. Volumnia Gaul de Viola Davis au professeur Casca Highbottom de Peter Dinklage, complètent un ensemble qui vise la nuance plus que le cliché.
Décors d’Europe pour un Panem en reconstruction
Contrairement à une attente de plateaux entièrement numériques, la production a massivement investi des lieux réels en Allemagne et en Pologne — Berlin, Leipzig, Duisburg, Wrocław et d’autres sites industriels et monuments — afin de conférer au Capitole d’après-guerre une matérialité désarmée et parfois presque ruinée. Ce choix de lieux historiques et industriels a orienté la direction artistique vers une beauté sévère, favorisant décors concrets, costumes travaillés et une sensation de capitole encore fragile plutôt que l’ostentation brillante des films « mûrs » de la franchise. La photographie signée Jo Willems contribue, par la texture et la composition, à donner au film une présence physique notable.
Quand la bande-son devient personnage
La partition de James Newton Howard et la présence — audible et médiatique — d’artistes contemporains ont joué un rôle central : la bande-originale mêle thèmes orchestraux et chansons folk qui font écho à l’univers des Covey. Parmi elles, la reprise du rôle musical par Olivia Rodrigo — avec le single « Can’t Catch Me Now » — a dépassé la simple promotion, contribuant au marketing et à l’empreinte émotionnelle du film. Ce positionnement musical, à la croisée du folklore scénique et de la chanson pop, redéfinit la manière dont un blockbuster peut tirer parti d’un album « from & inspired by » pour étendre la narration hors de l’écran. La chanson d’Olivia Rodrigo a par ailleurs obtenu plusieurs distinctions et nominations dans les circuits musicaux de l’industrie.
Le préquel qui scrute les racines du mal
L’intérêt principal de l’adaptation réside moins dans un renversement radical de forme que dans une volonté de contextualiser. Le film n’invente pas une langue cinématographique inédite, mais il place des enjeux contemporains — spectacle médiatique, reconstruction après conflit, marchandisation de la peur — au centre d’une fable d’origine. En cela, il apporte du neuf : montrer comment des institutions apparemment anodines (une école, une émission, une compétition) apprennent à instrumentaliser la représentation pour fabriquer l’obéissance. Sur le plan formel, la nouveauté tient à l’articulation entre folklore musical et politique du divertissement, ainsi qu’à la manière d’utiliser des lieux réels pour revivifier le monde de Panem.
Blyth et Zegler tiennent la charge émotionnelle
Tom Blyth réussit à proposer un Snow vulnérable et parfois persuadé de ses propres stratégies, ce qui rend le basculement moral compréhensible sans l’excuser ; Rachel Zegler, quant à elle, est très régulièrement saluée pour sa capacité à porter la partie musicale et dramatique du film, offrant une Lucy Gray à la fois séductrice et résolue. Les critiques ont souligné le duo comme l’un des principaux atouts du film, même si certains avis regrettent que la relation entre les deux personnages ne soit pas explorée plus longuement ou plus profondément. Les comédiens vétérans qui entourent ce couple lui donnent un contrepoint de gravité et de hauteur dramatique utile à l’équilibre du récit.

Ampleur d’un blockbuster sans effacer l’intime
Le film, avec un budget situé autour de cent millions de dollars, joue la carte d’une production importante sans pour autant perdre l’échelle humaine. Les scènes de foule et d’arène alternent avec des séquences resserrées en intérieur, où l’on sent la précision du travail d’acteurs et la rigueur de la mise en scène. Le recours privilégié aux décors existants et au travail d’artisanat (costumes, accessoires, musique live pour certains passages) donne au film une tactile rare dans les grosses productions contemporaines, et c’est souvent là que résident ses plus beaux moments.
Entre ovations ciblées et réserves argumentées
L’accueil critique a été partagé mais majoritairement favorable sur certains points : Rotten Tomatoes affiche une appréciation critique contrastée tandis que l’audience tend à être plus enthousiaste, signe d’un film qui fonctionne comme spectacle tout en divisant sur ses enjeux narratifs. Plusieurs critiques louent la photographie, la production design, le travail musical et les prestations des comédiens, mais quelques voix ont estimé que la fin et le rythme général auraient gagné à être plus resserrés. Ainsi, on trouve chez la presse des louanges pour la puissance visuelle et la densité thématique, accompagnées de remarques sur un dernier acte parfois trop expéditif.
Un succès mesuré à l’échelle de la franchise
Sur la scène commerciale, le film a rapporté plusieurs centaines de millions de dollars dans le monde, s’inscrivant comme un succès solide mais loin des sommets atteints par les premiers volets de la saga. Les résultats montrent que l’intérêt pour l’univers demeure élevé, que la stratégie marketing (clips musicaux, singles, avant-premières internationales) a payé, et que l’équation « grand spectacle + matière familière » continue d’attirer les foules, même si l’on note une certaine érosion par rapport aux pics historiques de la franchise.
Une reconnaissance sélective
Le film n’a pas été un grand lauréat des cérémonies « classiques » mais il a reçu plusieurs nominations techniques et musicaux, et a vu la bande originale / chanson recevoir des prix et mentions dans des institutions spécialisées. La chanson d’Olivia Rodrigo a été particulièrement remarquée dans les circuits musicaux et a remporté des prix dédiés aux musiques de films, tandis que la production a été saluée pour ses costumes et sa direction artistique dans différentes cérémonies et guildes. Ces retombées soulignent la dimension esthétique et sonore du projet, parfois plus célébrée que ses prétentions narratives par les jurys professionnels.
Les limites qui gardent la franchise sur ses gardes
Si le film séduit par son ambition, il pâtit parfois d’une densité trop importante : vouloir condenser en un seul long-métrage la trajectoire complexe d’un personnage et rendre compte des rouages politiques d’un système conduit à des accélérations et à des ellipses qui gênent certains spectateurs. D’autres remarques concernent l’équilibre entre spectacle et introspection : à vouloir être à la fois préquelle morale et blockbuster, le film perd parfois un peu de l’évidence dramatique qui aurait servi son propos. Ces critiques n’annulent pas les qualités du film mais expliquent pourquoi son impression est contrastée chez la critique spécialisée.
Naissance d’un monstre
Au bilan, The Ballad of Songbirds & Snakes s’impose comme un préquel ambitieux qui trouve sa force dans la mise en scène, la direction artistique et les performances centrales. Il ne réinvente pas le politique mais le met en scène à hauteur de personnages, et il rappelle, par sa musique et ses images, que la mécanique du pouvoir se nourrit aussi d’artifice et de séduction. Pour les spectateurs prêts à accepter des longueurs au profit d’un univers travaillé, la récompense est réelle : quelques scènes — musicales, dramatiques ou simplement visuelles — restent longtemps gravées après la sortie de la salle.
Un préquel utile et souvent réussi, à réserver aux curieux du monde originel
En conclusion, le film est une réussite partielle mais convaincante : il offre des moments de grâce sensorielle, un casting investi et une lecture sociale intéressante des origines du régime des Jeux. Il élargit la mythologie tout en posant des questions sur la fabrication du pouvoir et du spectacle. On peut regretter quelques choix narratifs et un dernier acte perfectible, mais la pièce fonctionne comme un nouvel accès à Panem — plus sombre, plus mélodique et parfois plus troublant. Pour les amateurs du canon, c’est un rendez-vous à ne pas manquer ; pour les néophytes, c’est un film qui donne assez de matière pour se laisser tenter.

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Je suis Claire, critique passionnée avec un regard acéré pour les détails artistiques. Mes critiques mêlent profondeur et élégance, offrant des perspectives uniques sur les médias. Avec une plume raffinée et une compréhension fine des œuvres, je m'efforce d'enrichir le dialogue et d'éclairer les spectateurs.
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