« Fabula » sous la pluie : critique ironique d’un gangster qui rêve en grand

Films / Publié le 7 octobre 2025 par Simon
Temps de lecture : 8 minutes

Entrons sans gants : Fabula arrive comme un curieux mélange de polar rural, de fable absurde et de conte baroque — un film qui aime hésiter entre le rire jaune et l frisson. Écrit et réalisé par Michiel ten Horn, le film a ouvert le Festival International du Film de Rotterdam le 30 janvier 2025, position qui annonce d’emblée une ambition de statut (film « d’auteur »), tout en revendiquant un goût assumé pour le populaire.

À la surface du marécage

Jos a 55 ans, il est petit voyou de province et sa vie tient à un fil : famille qui le méprise, deals ratés, destin qui se gaufre. En tentant de recoller les morceaux d’un trafic foireux, il va rencontrer une galerie de personnages hautement théâtraux — complices, rivaux, figures folkloriques — et se retrouver embarqué dans une quête qui mêle malchance, rédemption et, rapidement, une pointe de surnaturel. Le film déroule ses deux heures et cinq minutes en alternant scènes crues de la vie quotidienne et échappées oniriques, jusqu’à un final qui lorgne vers le conte moral plus que vers le polar strict. Cette ligne générale figure dans la présentation officielle du film et dans les notices de programmation.

Michiel ten Horn, entre gravité et facétie

Michiel ten Horn signe ici scénario et mise en scène. Connu pour savoir conjuguer un goût du réalisme âpre avec des incursions parfois inattendues (il n’est pas un novice du mélange tonal), Ten Horn pousse plus loin la greffe entre la comédie noire et le réalisme magique. Dans des interviews au moment de la sortie, le réalisateur explique vouloir travailler « entre le crime, la comédie et la fantaisie », chercher un équilibre entre la laideur quotidienne et une esthétique de la fable, et volontairement installer une atmosphère inconfortable. Ce positionnement se ressent : la caméra oscille entre le cadrage prosaïque et la séquence presque chorégraphiée, comme si Ten Horn voulait qu’on se sente sans cesse un peu décalé.

Un casting européen qui joue le jeu

La distribution rassemble des têtes connues du cinéma néerlandais et européen : Fedja van Huêt incarne Jos, figure centrale à la fois pitoyable et pathétique ; Sezgin Güleç, Michiel Kerbosch et Livia Lamers complètent la distribution, tandis que des acteurs comme Georg Friedrich ou David Kross ponctuent le récit de présences fortes. Ces choix de casting montrent la volonté d’alterner entre jeu frontal — acteurs au phrasé hérissé — et figures plus mystérieuses qui traversent le récit comme des ombres. Les crédits officiels et la fiche IMDB confirment ces attributions.

Limburg gris, pluie et béton

La production a posé ses caméras dans la région du Limbourg (Pays-Bas / Belgique limite), et le film revendique cette patine : grisaille, pluie persistante et paysages industriels qui donnent à l’ensemble une beauté froide. Ten Horn lui-même a commenté que le tournage, en novembre-décembre 2023, s’est déroulé sous une lumière souvent grise et humide — un choix esthétique conscient destiné à rendre l’environnement oppressant et à servir le caractère fataliste de l’histoire. Visuellement, la photographie privilégie les tons terreux et un confort formel presque sombre qui contraste avec les épisodes de fantaisie visuelle disséminés ici ou là.

Entre conte et polar

La question de l’innovation est centrale : Fabula ne révolutionne pas le cinéma, mais il tente une audace de tonalité. Le mélange crime / comédie noir / réalisme magique n’est pas neuf — on pense à des voisins littéraires et cinématographiques — mais Ten Horn cisèle une écriture qui tient à la fois du théâtre de personnages caricaturaux et d’un récit en apparence « classique » de rédemption. L’innovation tient surtout à la manière dont le film consent à décaler ses registres : la farce peut surgir au milieu d’un moment violent, l’onirisme peut creuser la réalité au lieu de l’embellir. En ce sens, l’invention est plus d’ordre tonal que structurel.

Les acteurs face au miroir

Fedja van Huêt investit Jos d’une humanité à la fois pitoyable et tenace : il autorise des moments de vraie douleur et, par contraste, des instants presque burlesques où son personnage devient le gaffeur tragique d’un conte noir. Les seconds rôles jouent, pour beaucoup, des lignes très marquées — volontiers caricaturales — mais c’est un parti pris assumé : Ten Horn préfère des silhouettes fortes aux nuances fluides, parce que le film fonctionne comme une fable et demande parfois des archétypes plus que des psychanalyses. Le bilan est donc mitigé : performances vigoureuses, mais parfois enfermées dans un registre qui empêche une empathie plus fine.

Burlesque, déraillements et gloire des faux-pas

Voici la partie que tu m’as demandée en priorité : l’ironie et le burlesque. Fabula est un film qui rit parfois malgré lui, et parfois parce qu’il le veut bien. Les gags ne sont ni appuyés ni systématiques ; ils surgissent comme des ratés heureux — un personnage qui entre au mauvais moment, une réplique trop solennelle livrée avec un décalage de ton, un plan trop long sur une expression qui se transforme en grimace. Ten Horn joue avec ces dissonances : il n’hésite pas à laisser la caméra observer les petites disgrâces humaines, et le spectateur oscille entre compassion et sourire narquois. Le burlesque, ici, n’est pas la blague mécanique mais la capacité d’un film sérieux à s’auto-dévoiler en tant que pièce de théâtre humaine, et c’est souvent délicieux.

Quand la fable fatigue

Un reproche récurrent dans les premières critiques est la gestion du tempo. Le film, volontairement ramassé sur deux heures, connait des moments où la narration traîne et d’autres où elle éparpille ses idées. Certains critiques ont noté que la mise en scène, malgré des éclats d’inventivité, se perd dans des circonvolutions qui alourdissent l’ensemble — le balancement permanent entre gravité et fantaisie finit par user. En somme : une œuvre généreuse qui parfois se regarde elle-même trop longtemps.

Petites trouvailles esthétiques

Sur le plan technique, Fabula affiche des choix soignés : photographie texturée de Robbie van Brussel, montage de Louis Deruddere, musique de Djurre de Haan — autant de collaborateurs qui installent une patine particulière au film. Les plans larges, les ralentis ponctuels et les inserts presque expressionnistes donnent parfois au film la tenue d’une fable visuelle, quand bien même la grisaille de l’ensemble reste prédominante. Ces éléments techniques soutiennent la proposition esthétique et sauvent plusieurs séquences de la trivialité.

Ouverture rotterdamise et critiques divisées

Le film a eu l’honneur d’ouvrir l’International Film Festival Rotterdam le 30 janvier 2025, position qui lui a valu une exposition immédiate et critique. La réception a été divisée : certains ont salué l’ambition, d’autres — comme Wendy Ide pour ScreenDaily — ont regretté un rythme maladroit et une comédie qui « n’aboutit pas toujours ». En clair : Fabula est un film qui provoque débat et qui ne fédère pas automatiquement. À ce stade, aucune pluie de prix internationaux majeurs n’est encore venue couronner le projet, mais son passage en ouverture d’IfRR assure déjà une visibilité importante.

Une fable qui aime se moquer d’elle-même

Si je dois trancher en gardant l’ironie souhaitée : Fabula est une jolie confiserie morale mal emballée. Elle séduit par son courage tonal — oser mélanger l’absurde au rugueux — et par des interprètes prêts à accepter la laideur humaine comme point d’honneur. Elle agace par sa propension à se perdre en chemin, par ses longueurs et par un goût pour la caricature qui finit parfois par émousser l’émotion. Mais ces défauts même sont souvent les raisons pour lesquelles le film devient divertissant : on rit souvent parce que le film prend trop au sérieux ses propres faux-pas. En somme : un film à voir si l’on accepte d’être surpris, secoué, et parfois de sourire d’un air complice.

Pour qui est faite cette fable ?

Allez voir Fabula si vous aimez les propositions qui jouent la frontière entre genre populaire et cinéma d’auteur, si vous aimez les anti-héros pitoyables et les climats lourds où le merveilleux surgit comme une échappée. Évitez-la si vous réclamez un polar rigide, linéaire et sans aspérités comiques involontaires. Enfin, si vous adorez compter les ratés heureux et écrire des légendes sarcastiques pour vos stories Instagram, vous aurez de la matière.

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