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Quand Kad Merad passe derrière la caméra
Marseille est une comédie française coécrite et réalisée par Kad Merad, sortie en 2016. Pour son premier passage à la réalisation, l’acteur franco-algérien, connu pour ses rôles dans Bienvenue chez les Ch’tis, La Vérité si je mens ! 3 ou encore Supercondriaque, choisit de rendre hommage à la ville qui l’a vu grandir et qui occupe une place centrale dans son cœur et son imaginaire.
Le film clôt le 19e Festival international du film de comédie de l’Alpe d’Huez, un honneur qui témoigne des attentes placées dans ce projet porté par deux figures de l’humour français : Kad Merad et Patrick Bosso. Co-écrit, entre autres, par ces deux comédiens surtout connus pour leur humour, ce Marseille, qui tient de la chronique familiale et sociale, risque de surprendre les amateurs de franche comédie.
Sorti le 16 mars 2016, le film raconte l’histoire de Paolo (Patrick Bosso), qui a quitté Marseille pour le Canada à la suite d’un drame, et qui doit y retourner 25 ans plus tard quand son frère, Joseph (Kad Merad), lui apprend que leur père a eu un accident. Bien décidé à ne faire qu’un bref aller-retour, Paolo va se rendre compte que la ville de Marseille n’est pas celle qu’il croit.
Le retour de l’enfant prodigue
Devant l’insistance de son frère Joseph, qu’il n’a pas revu depuis 25 ans, Paolo se résout à abandonner quelques jours sa vie calme et harmonieuse au Canada, pour revenir à Marseille au chevet de son père accidenté. Il part donc, son fils sous le bras, bien décidé à ne pas s’attarder dans cette ville qu’il a fui, des années plus tôt, à la suite d’un drame.
Il n’imagine pas, alors, que l’affection de sa famille retrouvée, sa rencontre amoureuse avec une jeune femme et la solidarité joyeuse et simple des Marseillais le réconcilieront avec cette ville qu’il n’aurait jamais voulu quitter. Ce synopsis, apparemment simple, cache en réalité une réflexion plus profonde sur l’identité, l’appartenance, le pardon et la capacité à se reconstruire après un traumatisme.
Le film alterne entre le présent – le séjour de Paolo à Marseille avec son fils adolescent – et des flashbacks qui révèlent progressivement la nature du drame qui l’a poussé à l’exil. Cette structure narrative permet de créer du suspense tout en développant la psychologie des personnages et leurs relations familiales complexes.
Kad Merad réalisateur : Entre ambition et maladresse
Pour son premier long métrage en tant que réalisateur, Kad Merad fait des choix audacieux. Plutôt que de se cantonner à une comédie légère qui aurait exploité les clichés marseillais (l’accent, la pétanque, le pastis), il opte pour un ton plus mélancolique, plus dramatique, qui oscille entre comédie et drame familial.
Kad Merad rend hommage à Marseille dans un film décousu qui alterne le pire et le plutôt pas mal. Cette observation critique touche un problème réel du film : l’inégalité tonale. Le réalisateur semble parfois hésiter entre plusieurs directions – la comédie pure, le drame social, la chronique familiale, la déclaration d’amour à une ville – sans parvenir à totalement harmoniser ces différentes facettes.
La réalisation de Merad est fonctionnelle mais manque parfois de maturité cinématographique. Les transitions entre les scènes sont parfois abruptes, certains choix de mise en scène manquent de subtilité, et le rythme du film connaît des variations qui peuvent déstabiliser. On sent un réalisateur encore en apprentissage, qui maîtrise mieux la direction d’acteurs (son domaine d’expertise) que les aspects purement techniques de la mise en scène.
Cependant, il faut souligner l’ambition du projet. Merad ne se contente pas de faire un film « facile » qui aurait capitalisé sur sa notoriété d’acteur comique. Il prend des risques, explore des zones d’ombre, tente de créer quelque chose de personnel et de sincère. Cette audace mérite d’être saluée, même si l’exécution n’est pas toujours à la hauteur des intentions.
Patrick Bosso : Un rôle taillé sur mesure
Patrick Bosso, humoriste marseillais emblématique, tient le rôle principal de Paolo. En 2016, il tient le rôle principal du film Marseille de Kad Merad, marquant son retour au cinéma après plusieurs années consacrées principalement au stand-up et à la scène.
L’influence de Patrick Bosso marseillais d’origine se ressent tout au long du récit dans lequel sont intégrés certains éléments de son passé. Cette dimension autobiographique enrichit le personnage et apporte une authenticité bienvenue. Bosso ne joue pas un personnage, il incarne une part de lui-même, de son histoire, de son rapport complexe à Marseille.
Sa performance oscille entre moments de légèreté comique (son accent, ses expressions typiquement marseillaises, son énergie méditerranéenne) et séquences plus graves où il doit transmettre la douleur d’un homme hanté par son passé. Bosso s’en sort honorablement, même si on sent parfois les limites de son registre d’acteur face aux exigences dramatiques du rôle.
La relation entre Paolo et son fils adolescent, incarné par Théo Fernandez, constitue l’un des axes émotionnels forts du film. Bosso parvient à créer une complicité crédible avec le jeune acteur, et leurs scènes ensemble font partie des meilleurs moments du film.

Kad Merad acteur : La présence rassurante du frère
Kad Merad s’offre le rôle de Joseph, le frère resté à Marseille, celui qui n’est jamais parti, qui a assumé la responsabilité du père vieillissant et qui porte en lui sa propre part de ressentiment et de non-dits. C’est un choix intéressant de la part de Merad de ne pas s’attribuer le rôle principal, mais plutôt celui du soutien, du pilier familial.
Sa performance est solide, ancrée dans une retenue qui contraste avec l’exubérance de Bosso. Joseph est un personnage plus sombre, plus amer, qui doit gérer sa propre colère face au départ de Paolo et à l’abandon qu’il a ressenti. Merad joue ces nuances avec justesse, évitant la caricature du « frère aigri » pour offrir un portrait plus complexe d’un homme qui a fait son devoir mais qui en paie le prix émotionnel.
Les scènes de confrontation entre les deux frères sont les plus réussies du film, révélant des années de non-dits, de reproches muets, de douleurs enfouies. C’est dans ces moments que le film trouve sa véritable profondeur émotionnelle.
Une galerie de personnages attachants
Au-delà du duo Merad-Bosso, le film bénéficie d’un casting secondaire solide qui enrichit l’univers marseillais du récit.
Venantino Venantini incarne le père, figure patriarcale imposante même diminuée par l’âge et l’accident. Sa présence à l’écran, bien que limitée, pèse sur l’ensemble du film.
Judith El Zein joue Anaïs, la jeune femme dont Paolo tombe amoureux durant son séjour. Leur relation amoureuse apporte une dimension de renaissance et d’espoir au récit, suggérant que la vie peut recommencer même après des années de fuite.
Anne Charrier et Julien Boisselier complètent le casting dans des rôles secondaires, apportant leur expérience et leur crédibilité au projet.
Il en ressort un film attendrissant et qui repose sur un casting intéressant dans lequel figure aussi Judith El Zein, Anne Charrier et Julien Boisselier. Ce casting mêle acteurs confirmés et visages moins connus, créant une texture réaliste qui sert le propos du film.
Marseille, personnage principal du film
Plus qu’une simple toile de fond, Marseille est véritablement le personnage central du film. Merad fait de sa ville natale un protagoniste à part entière, filmant ses quartiers, ses marchés, son port, son accent, sa lumière méditerranéenne avec un amour évident.
Être replongé dans un Marseille inimitable est déjà en soi un véritable bain de jouvence et un avant-goût de vacances ! Le film fonctionne comme une carte postale animée, une invitation à (re)découvrir la cité phocéenne au-delà des clichés et des préjugés.
Mais Merad ne se contente pas d’une vision touristique. Il montre aussi les difficultés de la ville, ses quartiers populaires, ses tensions sociales, sa complexité. Le réalisateur nous livre plutôt un message fort sur l’entraide et sur le métissage d’une ville attachante et intriguante.
La photographie de Laurent Dailland capture magnifiquement la lumière particulière de Marseille, cette clarté méditerranéenne qui baigne la ville d’une atmosphère unique. Les plans larges du Vieux-Port, des calanques, des ruelles du Panier créent une géographie émotionnelle qui structure le récit.
L’équilibre difficile entre clichés et authenticité
Le film navigue constamment entre l’exploitation des clichés marseillais et la volonté de proposer un portrait plus nuancé et authentique de la ville et de ses habitants. Parce qu’il saute parfois à pieds joints dans les clichés marseillais, ce Marseille risque aussi de s’attirer le mépris des amateurs de films à « points de vue ».
Effectivement, le film n’évite pas toujours les raccourcis faciles : l’accent chantant, le tempérament expansif, la solidarité communautaire idéalisée, la chaleur humaine constante. Ces stéréotypes, bien que fondés sur une certaine réalité, peuvent parfois donner au film un côté « carte postale » qui dessert son ambition de créer un portrait authentique.
Cependant, il faut reconnaître que ces clichés sont assumés et même revendiqués par Merad. Il ne s’agit pas d’une exploitation cynique mais d’une célébration affectueuse. Le réalisateur connaît ces codes, les a vécus, et les utilise avec tendresse plutôt qu’avec condescendance.
Le film parvient parfois à transcender ces clichés pour toucher à quelque chose de plus universel : le sentiment d’appartenance à un lieu, l’importance des racines, la difficulté à revenir dans un endroit qu’on a fui. Ces thèmes résonnent au-delà de Marseille et touchent quiconque a connu l’exil, volontaire ou forcé.
Plus qu’une simple comédie
Sous ses airs de comédie légère, Marseille aborde en réalité plusieurs thématiques profondes qui donnent au film une dimension plus sérieuse.
Le trauma et le pardon : Le drame qui a poussé Paolo à partir est révélé progressivement, et le film explore avec sensibilité la manière dont un traumatisme peut façonner une vie entière. Le retour à Marseille devient un processus de guérison, une confrontation nécessaire avec le passé pour pouvoir avancer.
La famille et les non-dits : Les relations entre Paolo, Joseph et leur père sont minées par 25 ans de silence et de ressentiments accumulés. Le film montre comment les familles peuvent être à la fois source de soutien et de souffrance, comment l’amour peut coexister avec la colère.
L’identité et l’appartenance : Paolo a tenté de construire une nouvelle vie au Canada, mais le film suggère qu’on ne peut jamais vraiment échapper à ses origines. La question de l’identité – est-il encore marseillais après 25 ans d’absence ? – traverse tout le récit.
La transmission générationnelle : La présence du fils de Paolo ajoute une dimension supplémentaire, questionnant ce qu’on transmet (ou pas) à la génération suivante, comment les secrets familiaux se perpétuent ou se brisent.
La solidarité et l’entraide : Le film célèbre la capacité d’une communauté à accueillir, soutenir, réintégrer l’un des siens. Cette vision optimiste de la nature humaine peut sembler naïve, mais elle apporte une chaleur bienvenue au récit.
Les forces du film : Ce qui fonctionne
Malgré ses imperfections, Marseille possède plusieurs qualités indéniables qui en font une expérience cinématographique agréable :
La sincérité : Il faut défendre ce film qui n’a d’autre ambition, clairement affichée, que de nous faire partager l’affection, sans doute indéfectible, qu’un jour, un homme tendre a éprouvée pour sa ville. Cette honnêteté émotionnelle rachète beaucoup de maladresses techniques.
L’atmosphère marseillaise : Le film réussit à capturer l’esprit de Marseille, son énergie particulière, sa lumière, son ambiance. Pour quiconque connaît la ville, c’est un plaisir de la retrouver à l’écran.
Certaines performances : Bosso et Merad créent des moments touchants, particulièrement dans leurs scènes de confrontation. Leur alchimie est palpable et authentique.
L’équilibre ton comique/dramatique : Marseille est dans la veine de ce qui se fait actuellement en comédie française : un mixe d’humour, d’amour et de tristesse, pour un film avant tout humain. Quand cet équilibre fonctionne, le film touche juste.
Le message d’entraide : Le réalisateur nous livre un message fort sur l’entraide et sur le métissage d’une ville attachante et intriguante. Cette célébration de la solidarité humaine est bienvenue.
Les faiblesses : Où le film trébuche
Impossible de dresser un portrait complet sans aborder les nombreuses imperfections de Marseille :
L’inégalité tonale : Le film alterne entre comédie, drame, romance, chronique sociale sans parvenir à harmoniser ces différents registres. Cette dispersion nuit à la cohérence d’ensemble.
Une réalisation parfois maladroite : Merad, en réalisateur débutant, commet des erreurs de rythme, de mise en scène, de transitions qui trahissent son manque d’expérience derrière la caméra.
Des clichés envahissants : Malgré la sincérité du propos, le film s’appuie trop lourdement sur des stéréotypes marseillais qui peuvent lasser ou agacer.
Une construction narrative prévisible : La structure du film (retour, réticence, réconciliation, révélation, acceptation) suit des rails très balisés du genre.
Des personnages secondaires sous-développés : Au-delà des deux frères, les autres personnages manquent de profondeur et restent souvent des fonctions narratives plutôt que des êtres complexes.
Une fin un peu trop optimiste : La résolution de tous les conflits peut sembler un peu rapide et facile, sacrifiant la vérité psychologique au besoin de clore le film sur une note positive.
Un accueil mitigé
Marseille est dans la veine de ce qui se fait actuellement en comédie française. Il relève le défi, sans briller, sans prise de risque, mais il réussit à nous faire passer un bon moment ce qui est quand même l’essentiel pour ce type de production. Cette appréciation résume bien la réception globale du film : positive mais sans enthousiasme excessif.
Le film obtient une note de 5.0 sur IMDb, reflétant une réception publique partagée. Ce score modeste témoigne d’un film qui divise, qui plaît à certains pour sa sincérité et son atmosphère, mais qui déçoit d’autres par ses maladresses narratives et techniques.
Sortie en début d’année 2016, Marseille s’est ramassé tous les préjugés un peu ridicules que certains spectateurs ont pu lui associer : comédie franchouillarde bas de plafond et déjà vue avec Kad Merad, stéréotypes à outrance. Pourtant, pour ceux qui ont dépassé ces préjugés, le film révèle des qualités cachées et une authenticité touchante.
Le film a connu un succès d’estime plutôt que commercial, touchant particulièrement le public marseillais et provençal qui s’est reconnu dans cette déclaration d’amour à la ville. Pour le public national, la réception a été plus tiède, certains critiquant l’aspect trop régionaliste du projet.
Marseille et le cinéma régional français
Le film de Merad s’inscrit dans une tradition du cinéma français qui célèbre les identités régionales : les films de Pagnol bien sûr, mais aussi plus récemment Bienvenue chez les Ch’tis (dans lequel Merad jouait d’ailleurs), Le Prénom, ou encore les films de Cédric Klapisch qui explorent différentes régions françaises.
Cette veine du cinéma régional permet au public de découvrir ou redécouvrir des territoires, des accents, des cultures locales. Elle participe à la diversité du cinéma français et résiste à l’uniformisation culturelle. Marseille, malgré ses défauts, participe de cette démarche de valorisation des identités régionales.
Une déclaration d’amour maladroite mais sincère
Marseille n’est pas un grand film. C’est même un film franchement imparfait, avec des maladresses de réalisation, des clichés parfois envahissants, et une narration inégale. Mais c’est aussi un film sincère, généreux, qui porte un véritable amour pour sa ville et ses habitants.
Pour son premier essai en tant que réalisateur, Kad Merad montre de l’ambition et de l’audace en refusant la facilité de la comédie pure. Il tente quelque chose de plus personnel, de plus intime, même si l’exécution ne suit pas toujours l’intention. Cette prise de risque mérite d’être saluée.
Certes loin d’être un grand film, Kad Merad sait capter l’atmosphère unique de Marseille et nous offrir un moment agréable, même si imparfait. C’est un film qui se regarde avec indulgence, en acceptant ses défauts comme on accepte ceux d’un ami qui nous raconte une histoire importante pour lui, même s’il s’emmêle parfois dans ses mots.
Pour les amoureux de Marseille, c’est un hommage touchant qui, malgré ses approximations, capture quelque chose de l’âme de la ville. Pour les autres, c’est une comédie dramatique française honorable qui offre quelques bons moments et beaucoup de soleil.
Verdict : Une première réalisation imparfaite mais sincère qui fonctionne davantage comme déclaration d’amour à Marseille que comme œuvre cinématographique aboutie. Kad Merad et Patrick Bosso créent des moments touchants au sein d’un film décousu qui hésite entre plusieurs tons sans jamais complètement en maîtriser aucun. À voir pour l’atmosphère marseillaise et la générosité du propos, mais sans attendre de révolution cinématographique. Un film du cœur plus que de la tête, qui assume ses clichés et ses maladresses avec une tendresse désarmante.
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