Ne Zha 2 : une déesse enfant de la fureur

Films / Publié le 24 octobre 2025 par Guillaume
Temps de lecture : 10 minutes

Mythologie ranimée, ambition globalisée

Lorsqu’en 2019 paraissait Ne Zha, le cinéma d’animation chinois s’était pour ainsi dire redécouvert un héros — figure rebelle, mi-démon, mi-dieu — capable de parler aux jeunes générations en revisitant le mythe. Avec Ne Zha 2, sorti le 29 janvier 2025 (journée de la nouvelle année lunaire) en Chine, le réalisateur Jiaozi (Yang Yu) reprend ce matériau ancestral pour le pousser à ses extrémités contemporaines.

L’enjeu pour Ne Zha 2 est double : rester ancré dans la tradition mythologique chinoise tout en conquérant un public global, et égaler voire dépasser les colosses d’Hollywood en terme de spectacle visuel, de rythme narratif et d’impact émotionnel. Le film est aujourd’hui revendiqué comme un tournant dans l’animation chinoise moderne — non seulement pour ses records de box office, mais comme signal d’une « ère nouvelle » pour la culture visuelle chinoise à dimension universelle.

Synopsis : une légende en lutte pour l’humain

Après les événements du premier Ne Zha, le deuxième opus reprend l’histoire dans un univers où les forces surnaturelles et les obligations divines ne cessent de s’entremêler. Ne Zha (portant l’essence du démon enfant) et son ami Ao Bing voient leur corps d’origine détruits par un éclair céleste. Pour renaître pleinement, ils doivent reconstruire une forme physique ensemble — une coexistence fragile, marquée par des épreuves, des conflits internes, et des menaces extérieures.

Le film conduit leur quête à travers tempêtes mythologiques, affrontements cosmiques, confrontations personnelles — tout en rendant hommage au folklore (le Lotus aux sept couleurs, le palais de jade, les entités divines comme Shen Gongbao, Taiyi). Il y a des dilemmes : jusqu’où accepter la dualité, comment prendre le contrôle du destin quand on a été façonné par des forces plus grandes ?
Sans tout dévoiler : le film mêle les batailles épiques à des instants de repli, les sacrifices à l’espoir — et laisse le spectateur avec une image forte d’un Ne Zha prêt à transcender son statut de demi-dieu.

Jiaozi et l’animation chinoise en mutation

Yang Yu, alias Jiaozi, est né en 1980 dans la province du Sichuan. Il a étudié à l’université de Sichuan et s’est orienté vers l’animation malgré une formation « classique » (pharmacie selon certaines sources). Avec Ne Zha (2019), il s’est fait connaître, mais c’est avec Ne Zha 2 qu’il s’impose définitivement comme une figure clé.

Cette fois, il assume non seulement la direction, mais aussi le scénario, l’univers visuel, la mythologie revisitée — un geste d’auteur dans un cinéma de production. Il semble conscient de porter une espérance : prouver que la Chine peut générer des histoires mythiques qui résonnent aussi loin que les sagas hollywoodiennes. Cependant, ce rôle de « passeur mythologique » est exigeant : il doit naviguer entre localisme esthétique, dimension culturelle forte et exigence de fluidité narrative pour des publics étrangers.

L’équipe d’animation — plus de 130 studios collaborateurs selon certaines sources — montre l’ampleur collective du projet. C’est un peu comme si chaque trait, chaque dragon, chaque vague portait la signature invisible d’une cohorte d’artisans déterminés à repousser les standards.

Interprétations / personnages : voix, conflits, identité fragmentée

Bien sûr, dans un film d’animation, le terme “interprétation” est métaphorique — il renvoie aux voix, à la caractérisation, aux choix de design, à l’animation expressive.

  • Ne Zha : héros fracturé, né du chaos, habité par le feu, tiraillé entre les puissances du démon et l’élan vers l’humain. Le film leForce à accepter l’ambiguïté : il combat non seulement pour sauver, mais pour définir ce qu’il veut devenir. L’animation lui donne un visage d’adolescent traversé d’énergie — ses remous intérieurs prennent forme visuelle.
  • Ao Bing : compagnon tragique, âme liée à Ne Zha, plus réservé peut-être, porteur du mystère du corps perdu. Son rôle est celui de miroir, de contrepoint silencieux mais déterminant.
  • Shen Gongbao, Taiyi et les antagonistes : ils incarnent les systèmes — du pouvoir, de la tradition, de la fatalité. Certains personnages secondaires manquent parfois de temps d’exposition, ce qui donne l’impression qu’ils sont pressés de faire leur effet dramatique plutôt que de respirer pleinement.

Dans la version anglaise, Michelle Yeoh prête sa voix à Lady Yin (la mère de Ne Zha), ce qui ajoute une couche de prestige — mais aussi un défi de traduction culturelle : préserver les nuances de la version mandarin sans les appauvrir.

La forge du visuel

Animation, effets spéciaux, direction artistique

Ne Zha 2 affiche une ambition visuelle hors norme. Sur ses 144 minutes, le film regorge de scènes spectaculaires — vagues déchaînées, batailles aériennes, métamorphoses élémentaires. L’animation 3D est poussée : les textures, les particules, les effets lumière/ombre sont travaillés en détails. Les transitions entre monde céleste et monde humain, entre calme et chaos, sont saisissantes.

La direction artistique joue avec les éléments naturels (eau, feu, glace, vent) comme des personnages eux-mêmes. Le palais de jade, les lotus, les meubles ancestraux, les ornements mythologiques chinois — tout rappelle un univers traditionnel, mais remasterisé dans un langage visuel moderne, saturé d’énergie.

Montage, rythme narratif

Avec 144 minutes, le film prend le temps d’établir ses enjeux. Le montage alterne scènes d’action, digressions mythologiques, moments calmes de relation entre Ne Zha et Ao Bing, instants symboliques. Cependant, ce rythme est parfois dense — le récit accumule les fils (destin, transformation, conflits internes, politique divine) et donne l’impression que certaines transitions sont forcées. Le challenge est de maintenir l’équilibre entre épique et intime — et ce n’est pas toujours parfait.

Musique et son

La partition musicale, signée Wan Pin Chu, Rui Yang et Roc Chen, mélange tradition et orchestration moderne. Le film intègre des musiques folkloriques chinoises (erhu, pipa, chants ethniques — notamment le chant Dong utilisé dans l’ouverture) et des interventions orchestrales luxuriantes, parfois combinées avec des instruments occidentaux ou électroniques.

Le son immersif (effets, ambiances, bruitages) aide à rendre les scènes titanesques crédibles — une tempête, un échange d’énergie céleste, un combat de dragons — tout prend corps dans l’espace. Toutefois, certains passages bénéficieraient d’un peu plus de silence : trop de saturation sonore par moments atténue l’impact émotionnel du spectateur.

Destin, identité, devenir

Le film a plusieurs niveaux de lecture, mais quelques thèmes dominent :

Destin vs libre arbitre

Ne Zha, créature née du chaos, est supposé incarner une destinée qui le dépasse. Ne Zha 2 défie cette fatalité : combattre le destin pour le remodeler. Il dit que l’être n’est pas écrit d’avance, que même un demi-dieu peut choisir sa voie — thème universel dans un cadre mythologique chinois.

Identité fragmentée, dualité, rebirth

La coexistence forcée de Ne Zha et Ao Bing dans un même corps symbolise la lutte interne, la pluralité des voix qu’on porte. C’est une métaphore de ce que signifie être “plusieurs en soi”. Le film parle de ruptures, de reconstruire, d’accepter le changement comme condition d’existence.

Pouvoir, injustice, rupture du système

Les antagonistes incarnent les forces d’un ordre ancien : le pouvoir divin non questionné, la tradition imposée, la domination. Ne Zha ne se contente pas de défier les monstres — il souhaite questionner le lien entre autorité et rébellion. En contexte chinois actuel, ce discours trouve un écho : pour certains observateurs, le succès du film est aussi un signe de désir de narration locale face au soft power occidental.

Poésie visuelle & émotion

Le film est parfois poétique dans ses images : une aura de lumière traversant le ciel, le lotus comme symbole de renaissance, les éclats d’énergie rouge ou bleue qui strient les ténèbres. Ces moments suspendus sont les respirations émotionnelles où le spectateur se reconnecte au personnage.

Mais la densité du scénario peut diluer cette poésie — plus on avance, plus les enjeux deviennent opérationnels, et les images sublimes doivent porter aussi beaucoup de texte. Le défi est d’alléger la narration pour laisser les visions parler seules.

Un géant à double facette

Forces

  1. Impact visuel et spectacleNe Zha 2 est un manifeste visuel, qui pousse les standards de l’animation chinoise, rivalisant avec les blockbusters mondiaux.
  2. Ambition émotionnelle & mythologique — là où beaucoup de films d’action privilégient le spectaculaire, ici le spectaculaire est au service de l’âme du film.
  3. Succès colossal & effet de rayonnement — en Chine seulement, le film a rapporté environ 15,44 milliards de yuans (~2,13 milliards USD) avec 324 millions d’entrées, devenant le film le plus vu de l’histoire chinoise.
    À l’international, ses recettes mondiales atteignent environ 15,91 milliards de yuans (~2,19 milliards USD).
  4. Doublage anglais et expansion mondiale — la version doublée en anglais, distribuée par A24, élargit le public potentiel dans les marchés occidentaux. Michelle Yeoh prête sa voix à Lady Yin, ce qui témoigne d’un passage vers la visibilité mondiale.

Limites

  1. Narration trop dense / surcharge — le film empile les intrigues : la reconstruction, les conflits internes, la politique divine, les alliances secondaires. Certains moments paraissent comprimés.
  2. Personnages secondaires sous-développés — plusieurs figures importantes ne trouvent pas toute leur profondeur : elles servent davantage au mouvement qu’à la présence émotionnelle.
  3. Équilibre entre local et global — la mythologie chinoise impose des références (lotus, divinités, architectures sacrées) qui peuvent perdre des spectateurs peu familiers ; le film doit naviguer entre fidélité culturelle et universalité.
  4. Durée & fatigue émotionnelle — à presque 2 heures 24, le film exige de maintenir l’attention. Les spectateurs moins investis pourraient ressentir un décrochage dans le second acte.

Une tornade culturelle

Ne Zha 2 a littéralement pulvérisé les records. En Chine, il est devenu le film le plus vu jamais produit — 15,44 milliards de yuans (~2,13 milliards USD) pour 324 millions d’entrées.
Au niveau mondial, il atteint environ 15,91 milliards de yuans (~2,19 milliards USD) cumulés.

Le film a également dépassé Inside Out 2 pour devenir le film d’animation le plus lucratif jamais sorti.

Une version anglaise, distribuée par A24/CMC, sort aux États-Unis le 22 août 2025 dans plus de 2 500 salles, avec Michelle Yeoh en doublage voix principale.

Côté critiques, l’accueil est nettement positif dans la presse chinoise ; en Occident, certains louent le souffle visuel mais pointent l’exigence narrative pour un public non familier des mythes chinois.

La Légende chinoise

Ne Zha 2 se dresse comme un fragment de temple en plein ciel : ambitieux, puissant, parfois surchargé, mais toujours impressionnant. Il est le miroir d’un cinéma qui veut désormais raconter ses propres mythes, sans passer par la leçon de l’Occident. Il est l’envol d’un garçon-démon devenu légende.

Ce film ne se contente pas d’être spectaculaire : il exige du spectateur qu’il suive son souffle, qu’il plonge dans ses zones d’ombre, qu’il accepte les dissonances pour être touché. Il ne réussit pas toujours à épouser pleinement tous ses thèmes, mais quand il touche, il transcende : le destin, l’identité, l’acceptation de soi.

Verdict final : Ne Zha 2 est une œuvre-événement, un chefd’œuvre naissant de l’animation chinoise, qui conjugue mythe et modernité avec une ambition rare. Il n’est pas parfait, mais il promet une ère nouvelle — celle où les légendes orientales deviennent universelles.

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Guillaume

Je suis Guillaume, critique de films passionné dont les analyses incisives et captivantes enrichissent le monde du cinéma. Avec un flair pour déceler les subtilités artistiques, je partage mes réflexions à travers des critiques percutantes et réfléchies. Mon expertise, alliée à une plume élégante, fait de moi une voix influente dans l'univers cinématographique.

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