Parasite : le miroir cruel d’une inégalité mondiale

Films / Publié le 11 juin 2025 par Rocky
Temps de lecture : 7 minutes
Film Parasite

Parasite, sorti en 2019, est un thriller/comédie noire sud-coréen coécrit et réalisé par Bong Joon-ho, en duo avec Han Jin-won. Premier film sud-coréen à remporter la Palme d’or à Cannes le 21 mai 2019, il a ensuite marqué l’histoire en devenant le premier film non anglophone lauréat de quatre Oscars majeurs lors de la 92ᵉ cérémonie : meilleur film, réalisation, scénario original et film international. Avec un budget modeste d’environ 11,4 M$ et plus de 258 M$ de recettes mondiales, Parasite s’impose non seulement comme un succès commercial, mais aussi comme un jalon artistique et sociétal.

L’intrigue acérée : un drame social sous tension

Le film met en scène la famille Kim, vivant dans un semi-sous-sol exigu à Séoul, et confrontée à la famille Park, privilégiée et isolée dans une maison contemporaine. En usant de ruses abouties, les Kim se glissent un à un dans l’intimité des Park : Ki-woo en professeur d’anglais, sa sœur comme tutrice artistique, jusqu’au chauffeur et à la gouvernante. Progressivement, la frontière entre manipulation et symbiose s’estompe, révélant des tensions classistes exacerbées, jusqu’à une série d’implosions dramatiques qui mêlent humour noir, horreur inattendue et humanité brisée. Le final sous la pluie, où la famille reprend son ascension de ruelle, restitue visuellement l’injustice et la fatalité sociale .

Bong Joon-ho : le conteur du fossé social

Réalisateur emblématique de la « Nouvelle vague coréenne », Bong Joon-ho (né en 1969 à Daegu) s’est distingué avec Memories of Murder, The Host, Snowpiercer et Okja. Avec Parasite, il abandonne la science-fiction pour une satire sociale réaliste. S’inspirant notamment du film The Housemaid (1960) et de l’affaire Papin, Bong met en scène la lutte des classes à travers l’espace : semi-sous-sol contre loft lumineux, le haut et le bas de Séoul comme métaphore de la disparité économique.

Il crée un ballet millimétré entre les personnages, où chaque pièce architecturale devient décor comportant un enjeu symbolique. Bong déclare que l’idée de Parasite lui est venue progressivement, nourrie par son vécu (notamment en tant que tuteur étudiant). Il signe là un récit limpide et puissant, mêlant tension, satire et humour tragique, le tout dans une maîtrise visuelle et narrative remarquable.

Un tournage au service du propos

Le tournage, débuté en mai 2018 et terminé en septembre de la même année, s’est déroulé dans des décors majoritairement construits pour le film. La maison des Park est une construction sur mesure, pensée pour refléter la modernité, la transparence sur la façade et l’enfermement dans les sous-sols . Par contraste, le sous-sol des Kim reste lugubre, humide, étouffant, incarnant leur condition. Ces choix d’architecture narrative renforcent l’enjeu social du film : chaque espace devient un personnage à part entière.

La photographie de Hong Kyung-pyo, notamment l’utilisation contrastée de la lumière naturelle et artificielle, accentue les différences de statuts. L’ombre et la lumière structurent les lieux selon la hiérarchie sociale. Une reconstitution quasi documentaire où les détails amplifient la tension psychologique et sociale entre les deux familles.

Innovation formelle et narration redoutable

Parasite se distingue par l’intégration fluide de multiples genres : satire sociale, thriller, tragédie, horreur et comédie noire . Le rythme, d’abord posé, s’intensifie progressivement jusqu’à la séquence finale, qui bascule dans l’horreur et le chaos. Ce mélange de tonalité inédit est l’un des atouts majeurs du film : Bong use du suspense et de la violence pour porter un message social incisif, tout en conservant une fluidité narrative captivante. La métaphore du parasite, à la fois biologique et social, crée une polyvalence symbolique alimentaire, psychologique, voire politique, donnant au film sa profondeur.

Un casting vibrant et subtil

Song Kang-ho : une incarnation bouleversante

Star de référence dans le cinéma de Bong, Song Kang-ho interprète Ki-taek, le père au visage buriné, au mélange de fierté et de dignité. Avec sa voix grave et son expressivité maîtrisée, il incarne un homme brisé par le système, mais attachant, drôle, contradictoire. Song offre une performance nuancée qui capte la compassion et la rage, renforçant l’identification du spectateur.

Lee Sun-kyun & Cho Yeo-jeong : le miroir de la bourgeoisie

Dans leur rôle de M. et Mme Park, ces acteurs incarnent la naïveté cruelle du privilège : Liu Sun-kyun campe un entrepreneur déconnecté, Cho Yeo-jeong distille une froideur désinvolte, presque artificielle. Leur interprétation souligne la cécité morale de ceux qui ignorent l’existence des invisibles à leur service.

Choi Woo-shik & Park So-dam : la jeunesse opportuniste

Le fils Ki-woo (Choi Woo-shik) et la fille Ki-jung (Park So-dam) incarnent la génération pauvre : inventive, insouciante et opportuniste. Choi, jeune tutoriel charmeur, et Park, débrouillarde et manipulatrice, forment un duo étonnamment attachant, offrant une énergie juvénile mais lucide, fruit d’un mélange subtil de comédie et d’ambition.

Jang Hye-jin & Lee Jung-eun : entre ombres et lumière

La mère Kim Chung-sook (Jang Hye-jin) guide l’arnaque de sa manière pragmatique, tandis que la gouvernante Moon-gwang, incarnée par Lee Jung-eun, révèle une tragédie cachée en son sein. Chacune de ces femmes introduit une dimension humaine, chaleureuse, avant de basculer dans l’émotion et la douleur. Leur jeu dense et authentique soutient la puissance narrative du film.

Récompenses et portée internationale

Parasite a connu un parcours exceptionnel dans les plus grands festivals et cérémonies du monde. Le film a d’abord remporté la Palme d’or au Festival de Cannes en 2019, devenant ainsi le premier long-métrage sud-coréen à obtenir cette distinction suprême. Ce succès a été suivi d’un triomphe historique lors des Oscars 2020, où il a raflé quatre prix majeurs : celui du meilleur film, du meilleur réalisateur pour Bong Joon-ho, du meilleur scénario original et du meilleur film international. Il a également été couronné aux Golden Globes en tant que meilleur film en langue étrangère, avant de recevoir le BAFTA du meilleur film non anglophone ainsi que le prix du meilleur scénario original. Aux Screen Actors Guild Awards, le film s’est distingué en obtenant le prix du meilleur ensemble d’acteurs, soulignant la performance collective de sa distribution. En Corée du Sud, Parasite a été salué par de nombreuses récompenses nationales, notamment aux Grand Bell Awards et aux Blue Dragon Film Awards. Cette reconnaissance mondiale consacre Parasite non seulement comme un phénomène cinématographique, mais aussi comme une œuvre universelle qui transcende les barrières culturelles et linguistiques.

Pourquoi Parasite redéfinit le cinéma social

Parasite réalise le tour de force de combiner un propos sur les inégalités sociales avec une expérience cinématographique immersive. Bong Joon-ho transforme un scénario simple en une fable moderne, en usant d’éléments visuels, géométriques et humains. Grâce à une narration sans concession, le film provoque autant qu’il suscite la réflexion. Il brise les frontières politiques, culturelles et linguistiques, établissant un pont entre cinéma populaire et film d’auteur, entre divertissement et message critique. Son innovation réside dans son art de métamorphose : chaque plan, chaque hors-champ, chaque personnage devient ressort dramaturgique.

Un chef-d’œuvre intemporel

Parasite s’impose comme un chef-d’œuvre emblématique du XXIᵉ siècle. Réussissant l’équilibre rare entre esthétisme, tension narrative et réflexion sociale, il transcende le cinéma sud-coréen pour devenir un phénomène global. Bong Joon-ho signe ici une œuvre complexe, magistrale et universelle, capable d’ébranler les consciences tout en fascinant par sa force cinématographique.

Le film marque durablement l’histoire du cinéma et du propos social. Plus qu’un divertissement, c’est un miroir tendu à nos sociétés, un appel à dépasser les strates invisibles qui nous séparent. Parasite reste plus qu’un film : une expérience filmique incontournable, un jalon artistique et moral, indispensable à toute compréhension de notre monde contemporain.

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