Quand les retraités prennent la main : critique de The Thursday Murder Club

Films / Publié le 12 septembre 2025 par Salvador
Temps de lecture : 10 minutes
cozy crime

Une première ligne qui accroche

L’adaptation du roman phénomène de Richard Osman arrive sur les écrans avec un air de fête et une ambition claire : réunir une armée d’acteurs vénérables et faire d’un cosy mystery un divertissement grand public qui fonctionne autant sur la tendresse que sur l’adresse du coup de théâtre. Réalisé par Chris Columbus et produit par Amblin/Netflix, The Thursday Murder Club est sorti en avant-première à Londres fin août 2025 puis a été mis en ligne sur Netflix le 28 août 2025 après une sortie limitée en salles. Le film joue la carte du confort visuel et d’un humour british soigné tout en ménageant quelques vrais moments de suspense.

Une communauté qui refuse la retraite passive

Au cœur de Coopers Chase, résidence pour seniors où l’on croque la vie à pleines dents et puis parfois des croûtons plus inquiétants, quatre amis se retrouvent chaque jeudi pour résoudre de vieilles affaires non élucidées. Elizabeth, Ron, Ibrahim et Joyce — la fine équipe — se retrouvent entraînés dans une enquête réelle lorsque le calme apparent de la communauté est brisé par un meurtre. Le film garde l’esprit du roman : il mêle le charme d’un village anglais à une mécanique policière classique, ponctuée d’un goût prononcé pour les dialogues ciselés et les portraits. L’enquête déroule ses indices au rythme des retrouvailles amicales, et le cosy crime se pare ici d’un vrai sens de l’empathie pour les personnages et de surprises dans l’écriture des rebondissements.

Chris Columbus : le metteur en scène qui veut choyer ses vétérans

Confier l’adaptation à Chris Columbus pouvait surprendre — réalisateur associé à de grandes franchises et à un cinéma familial massif — et pourtant le choix fonctionne : Columbus apporte à la fois une main sûre pour diriger un plateau chargé en stars et un sens aigu du tempo, nécessaire pour doser humour et tension. Le réalisateur dit s’être plongé dans le roman en respectant son esprit tout en opérant des coupes indispensables pour tenir un format cinéma, et il a su installer une atmosphère chaleureuse sans renoncer aux exigences de rythme qu’impose un film policier. Son expérience de direction d’acteurs de renom et de production à haute échelle se voit dans la fluidité des scènes corales et dans le soin apporté aux cadres « maison de retraite enchantée ».

Mirren, Brosnan, Kingsley et la bande qui fait tenir le film

Le point fort du film est incontestablement son casting. Helen Mirren incarne Elizabeth Best avec une autorité douce et des étincelles d’ironie ; Pierce Brosnan apporte son charme chic en Ron Ritchie ; Ben Kingsley humanise Ibrahim Arif avec une retenue musicale ; Celia Imrie campe Joyce avec une implacable drôlerie. Le plateau est complété par des têtes connues (Naomi Ackie, Daniel Mays, Tom Ellis, Jonathan Pryce, David Tennant) qui enrichissent les enjeux et élargissent l’univers au-delà du groupe central. Ces comédiens — certains venus des séries, d’autres du théâtre et du cinéma mainstream — participent à donner au film un souffle populaire et un vrai capital sympathie.

De la page au plateau, quels choix ?

Adapter un roman aimé impose des choix radicaux. Chris Columbus et les scenaristes (Katy Brand et Suzanne Heathcote) ont rationalisé la temporalité et recentré certains arcs pour que l’ensemble fonctionne en 118 minutes tout en gardant les saillances comiques et émotionnelles qui font le sel du livre. Le film choisit de privilégier la chaleur humaine et la complicité entre les personnages plutôt que d’explorer chaque sous-intrigue du roman. Ce recentrage profite au rythme et à la lisibilité : la lecture devient cinématographique sans trahir les tonalités majeures de l’œuvre.

Filmer Coopers Chase : un décor qui devient personnage

La réussite visuelle du film tient autant aux lieux qu’à la direction artistique. Englefield House, somptueuse demeure élisabéthaine du Berkshire, sert de socle visuel à Coopers Chase ; les équipes ont également construit des décors intérieurs — la fameuse « Jigsaw Room » en tête — afin d’offrir des espaces très typés et immédiatement identifiables. Le travail du production designer James Merifield rend les appartements des personnages parlants : chaque pièce est un mini-portrait. Tourné principalement dans des domaines anglais et en studios (Shepperton, Beaconsfield), le film prend soin d’arborer une palette lumineuse qui confère à la fois confort et étrangeté, comme il sied à un cosy mystery qui cache sous la convivialité un cœur d’énigme.

Un artisanat au service de l’histoire

Sur le plan technique, le film s’appuie sur des collaborateurs chevronnés : Don Burgess à la photographie et Thomas Newman à la musique figurent parmi les noms crédités qui assurent une assise technique solide (crédits confirmés par les listings de production). La photo privilégie des cadres nets et une lumière naturelle quand il faut, alors que la partition, discrète, amplifie les moments d’émotion et les pincées d’ironie. Le montage ménage des respirations qui laissent les personnages exister au-delà de la mécanique policière — un choix judicieux pour un film qui veut séduire par ses visages autant que par son whodunit.

Le film s’incruste dans le cosy crime ?

Là où le film se distingue, c’est dans le mélange des registres. Il n’invente pas un nouveau genre, mais il réussit à affirmer un ton personnel : une comédie douce-amère capable de basculer en suspense sans rupture brutale. Columbus ménage la tendresse et la dérision, et l’ensemble plaide pour une revitalisation du « cosy » au cinéma — genre souvent réduit à la télévision. Le véritable apport tient dans la visibilité offerte à des comédiens âgés et dans la manière de faire du huis clos communautaire un terrain de combat émotionnel autant que d’investigation. Le film ne révolutionne pas la mécanique policière, mais il la réchauffe d’un capital humain rare dans le cinéma grand public.

Les comédiens dans le détail : performances et nuances

Helen Mirren apporte au film l’autorité tranquille qui tient lieu de colonne vertébrale. Elle compose une Elizabeth à la fois malicieuse et lucide, capable d’ironiser sur sa condition sans se résigner. Pierce Brosnan, jeu plus léger, profite de son timing comique pour installer un Ron touchant. Ben Kingsley trouve, dans Ibrahim, un rôle qui balance entre sagesse et douleur passée. Celia Imrie vole volontiers les scènes par son sens du relief et de l’absurde. Les seconds rôles — de Naomi Ackie à David Tennant — apportent du relief et évitent que le film ne se repose uniquement sur le charme des quatre protagonistes. Globalement, la direction d’acteurs privilégie la vérité de l’instant et la complicité, et le plateau répond présent.

Où le film réussit et où il hésite

Si la plupart des critiques s’accordent sur la sympathie du film et sa réussite technique, certains lui reprochent une tendance à lisser l’étrangeté du roman pour coller à un format familial. Le dernier acte, en particulier, a été perçu par quelques observateurs comme trop dense : en voulant boucler toutes les intrigues, le film accélère et perd un peu de la délicatesse des premiers temps. Néanmoins, ces accélérations ne gâchent pas l’ensemble : elles traduisent le dilemme d’un film qui cherche à satisfaire à la fois les lecteurs et un large public. La plupart des choix narratifs valent pour leur efficacité à l’écran, même s’ils laissent parfois le lecteur exigeant sur sa faim.

Accueil chaleureux et réserves de puristes

À sa sortie, The Thursday Murder Club a reçu une majorité d’avis positifs pour son charme, son casting et sa capacité à faire rire sans méchanceté. Des chroniques l’ont qualifié d’« engageant » et d’« efficace », ouvrant la porte à d’éventuels nouveaux films adaptés de la série. Quelques voix — souvent parmi les lecteurs fervents du livre — ont toutefois pointé des disparités d’adaptation et des choix de compression narrative. Globalement, la critique professionnelle a salué la qualité d’exécution, tandis que les débats portent davantage sur la fidélité littéraire que sur la valeur intrinsèque du film.

Sortie limitée puis raz-de-marée streaming

Stratégie moderne oblige, le film a connu un parcours hybride : une sortie limitée en salles au Royaume-Uni le 22 août 2025, suivie d’un lancement sur Netflix le 28 août 2025. Ce schéma a permis de générer du bouche-à-oreille en salle tout en visant l’audience globale des plateformes. Les premières mesures de performance montrent un succès immédiat en streaming — le film a rapidement figuré dans le Top 10 Netflix — et a suscité de sérieux espoirs pour une franchise cinématographique adaptée des romans suivants, si Netflix et Amblin décidaient de poursuivre.

Une carrière encore à construire

À la différence d’un film de festival, The Thursday Murder Club vise d’abord le cœur du public ; à ce stade de sa trajectoire il n’a pas alourdi son palmarès de trophées majeurs, mais il a déclenché une dynamique de popularité et des discussions sur la possibilité de futures nominations techniques (production design, costumes). La force du film réside moins dans la conquête des jurys que dans la capacité à installer une franchise potentielle et à montrer que des productions confortables mais soignées ont encore leur place.

Pourquoi regarder The Thursday Murder Club ?

Le film comble un besoin simple : voir des personnages âgés vivre, ruser, rire et penser plutôt que d’être cantonnés à la figuration. Il offre un moment de cinéma chaleureux, bien interprété, où l’intelligence du scénario cohabite avec le plaisir de la mise en scène. Si l’on cherche un polar radical ou une relecture sombre du roman, il faudra sans doute chercher ailleurs ; mais pour qui veut un whodunit généreux, porté par des comédiens au sommet et une mise en scène qui ne trahit pas la bienveillance du matériau, le film est une réussite.

Une adaptation aimable et bien fabriquée

The Thursday Murder Club n’est pas une révolution du genre, mais c’est un bon exemple de cinéma de divertissement bien fait : un réalisateur solide, un casting flamboyant, un travail de production soigné et une écriture qui sait ménager ses coups d’éclat. Le film plaira aux adeptes du roman qui accepteront quelques compromis et aux spectateurs en quête d’un plaisir cinématographique sans cynisme. On sort de la séance avec le sourire, l’envie de retrouver ces personnages et, pourquoi pas, l’espoir d’une suite qui approfondira davantage la gouaille et la complexité de la troupe.

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