« Reagan : l’icône, le mythe… ou l’image aseptisée d’un géant ? »

Films / Publié le 9 juin 2025 par Claire
Temps de lecture : 9 minutes
DennisQuaid Hollywood ReaganLeFilm
Film Reagan
Ronald Reagan and Nancy Reasgan at Ranch del Cielo in "Reagan" movie.

Le film Reagan, sorti le 30 août 2024, plonge le spectateur dans l’itinéraire hors norme de Ronald Reagan, de la petite ville de Dixon à la Maison‑Blanche, traversant l’âge d’or d’Hollywood et la guerre froide. Cette fresque ambitieuse, en 135 minutes de drame à grand budget (25 M$ pour un retour de 30 M$ au box-office), est portée par Dennis Quaid dans le rôle-titre. Réalisé par Sean McNamara, spécialiste de films inspirants (Soul Surfer, The Miracle Season), le biopic est narré par un ancien agent du KGB, donnant une tonalité inédite à l’histoire. Cependant, dégager la profondeur humaine de l’homme derrière la légende s’avère plus ardu que prévu…

Une vie racontée par l’ennemi

Le film s’ouvre par un prologue à Moscou en 2001 : un jeune député russe interroge Viktor Petrovich (Jon Voight), ancien agent du KGB, sur la chute de l’Union soviétique. Petrovich entame alors l’histoire de Reagan, dévoilant son parcours ponctué d’épreuves et de conquêtes. On découvre son enfance dans l’Illinois, imprégnée de foi chrétienne, son ascension comme lifeguard, animateur radio puis acteur à Hollywood après la guerre. Devenu président du Screen Actors Guild, Reagan collabore avec le FBI pendant la purge anti‑communiste et divise son couple avec Jane Wyman (Mena Suvari). Il épouse Nancy Davis (Penelope Ann Miller) en 1952, avant de se lancer en politique : discours marquants, poste de gouverneur de Californie en 1966, répression des manifestations à Berkeley, deux candidatures à la présidence (rejets en 1976 puis victoire en 1980). Le film souligne plusieurs moments marquants : attentat en 1981, relations avec Thatcher, Gorbachev, l’appel « Mr. Gorbachev : tear down this wall ! », et la fin de la guerre froide. L’approche narrative, en voix off de Voight, tend vers une épure hagiographique : si le parcours est bien retracé, les enjeux moraux et politiques plus complexes sont à peine effleurés.

Un réalisateur fascinant, mais limité

Sean McNamara, né en 1962 à Burbank (Californie), s’est spécialisé dans les récits édifiants ou familiaux (Soul Surfer, Miracle Season). Son choix pour Reagan s’inscrit dans la même veine : un héros exemplaire, vaillant, même spirituel. L’introduction, centrée sur l’attentat, aurait pu être un moment fort, mais son traitement « sait qu’il survit déjà », selon Roger Ebert . La narration omniprésente de Voight – accent russe et maquillage caricatural – accentue encore ce ton de fresque patriotique aux contours lisses. Pas de débat, pas de nuances : la politique est montrée sous son visage le plus éclatant, parfois éclipsant les zones sombres (Iran‑Contra, crise du sida, contestations internes) . Le style de McNamara demeure rigoureux, classique, mais manque de la radicalité nécessaire pour explorer la complexité. Le cinéaste choisi le récit « clean », proche de la légende, plutôt que la dissection contemporaine d’un homme à l’époque cruciale du XXᵉ siècle.

Dennis Quaid : l’acteur à la hauteur d’un monument ?

Dennis Quaid, lui-même confiant et angoissé, avoue avoir été « effrayé à mort » avant d’accepter le rôle emblématique. Il s’est imprégné de la psychologie de Reagan, notamment au Reagan Ranch, pour dépasser la simple imitation. Pour beaucoup, il relève le défi : selon FilmBook, « Dennis Quaid et Penelope Ann Miller relèvent le niveau » du film. Le patient coma de Reagan après l’attentat est particulièrement réussi, grâce à la complicité à l’écran avec Nancy. Pourtant, cette performance est enfermée dans un scénario qui refuse systématiquement les failles, transformant Reagan en marionnette glorieuse plutôt qu’en être humain fragile.

Le casting secondaire : des figures marquantes, mais en second plan

Penelope Ann Miller incarne Nancy Reagan, rayonnante mais surtout dans l’ombre d’un mari intouchable . Mena Suvari offre un visage sensible à Jane Wyman, pourtant aux marges de l’histoire. Jon Voight campe Viktor Petrovich, narrateur énigmatique, avec accent prononcé et mystère assumé. Kevin Dillon, David Henrie, Lesley‑Anne Down (en Margaret Thatcher), Robert Davi (en Brejnev) complètent la galerie de rôles historiques. Mais leurs prestations, souvent survolées, manquent de densité en raison d’un traitement uniformisé, sans tension dramatique forte. Le film choisit la sécurité émotionnelle plutôt que l’audace, nourrissant un portrait consensuel, presque aseptisé.

Un sujet d’actualité : entre hagiographie et propagande

Dans des critiques récentes, notamment pour The Atlantic, Reagan est accusé de franchir la ligne entre biopic et propagande, en évacuant les zones d’ombre (Iran‑Contra, sida, répression intérieure). Decider souligne le ton « mythique » et « cartoonesque » du film, avec des wigs douteuses et un accent russe caricatural . Pourtant, le public l’a adopté : audience à 98 % sur Rotten Tomatoes contre un maigre score critique de 18 %. Quant à la course aux Oscars, Reagan a été exclu de la sélection « Meilleur film » à cause des critères DEI (diversité), suscitant une controverse sur le manque de diversité dans la production. Le contraste entre applaudissements populaires et critiques acerbes révèle un fossé idéologique, où le film passe davantage pour un manifeste que pour une enquête.

Une façon de tourner sous influence : entre tradition et foi

Le tournage, débuté le 9 septembre 2020, s’est principalement déroulé à Guthrie, Oklahoma, avec des scènes à Santa Monica. Suspendu brièvement en octobre 2020 à cause de cas de Covid-19 sur le plateau, il a repris début novembre.

La mise en scène, classique et très cadrée, traduit une volonté de monumentaliser l’image de Reagan, presque comme une figure quasi christique. McNamara, qualifié de « actor’s director », favorise une reconstitution soignée, un découpage propre, une chronologie parfois hachée, rehaussée de clips d’archives historiques . La photographie de Christian Sebaldt et les décors d’époque mélangent fiction et réel dans une hybridation stylistique efficace, bien que sans grandes audaces visuelles. C’est un film tourné pour inspirer plutôt que pour surprendre, avec une esthétique propre à la mode des biopics américains, mais peu d’innovation formelle.

Nouvelle lumière ou réchauffé nostalgique ?

L’un des rares éléments innovants du film est la narration par Viktor Petrovich, ancien agent du KGB interprété par Jon Voight, qui regarde et commente Reagan depuis Moscou en 2001. Ce point de vue extérieur, censé offrir une distance critique, se révèle finalement peu exploité. La narration demeure conservatrice, évitant tout conflit narratif majeur ou plongée psychologique approfondie.

Le montage croisé entre flashbacks d’archives et scènes reconstituées pouvait offrir un discours sur la fluidité de la mémoire visuelle. Pourtant, le film n’explore pas cette richesse symbolique – il ressuscite le passé sans interroger ses répercussions sur le présent.

Mise en perspective : irréprochable pour certains, insipide pour d’autres

Le film embrasse l’histoire monumentale : chute du mur de Berlin, discours, geste prophétique autour de l’axe religieux — autant de scènes soigneusement construites, souvent spectaculaires, mais creuses de sens critique . Les figures historiques y sont présentes, parfois sans la nuance d’un récit plus complexe : Margaret Thatcher, Gorbachev, mais aussi les étudiants de Berkeley ne sont que silhouettes. Le contraste dramatique avec Nixon (Oliver Stone) ou Lincoln (Spielberg) est frappant : Reagan évite les zones grises, fuyant l’introspection au profit d’un manichéisme triomphant. À l’époque où les biopics sont souvent repensés en miroir de notre présent, celui-ci apparaît figé dans un récit de conquête personnelle, manquant l’opportunité de questionner l’homme derrière l’icône.

Réception critique et symbolique : l’hagiographie en débat

Désenchantement critique

Les critiques ont été sévères. Roger Ebert juge ce biopic « hardly a great communicator », soulignant son ton unidimensionnel et sa hagiographie lancinante. Rolling Stone et Metacritic lui attribuent des notes très basses (18 % sur Rotten Tomatoes, Metascore 22/100). FilmBook regrette un biopic « standard », sans surprise, hormis le jeu de Quaid et Penelope Ann Miller. Le ton est jugé trop empreint de patriotisme, parfois « cartoonesque » .

Adulé du public mais ignoré aux Oscars

Malgré un accueil mitigé de la critique, le public a exprimé un soutien massif (98 % d’avis favorables sur Rotten Tomatoes). Reagan Legacy Foundation, son fils Michael Reagan, et certaines personnalités conservatrices ont salué l’hommage rendu à leur héros.

Pourtant, Reagan a été exclu de la catégorie Meilleur film aux Oscars 2025 pour ne pas avoir respecté les critères DEI (Diversity Equity Inclusion) : moins de 30 % de diversité à l’écran et hors‑écran. Le film a également reçu six nominations aux Razzies, remportant celle du pire acteur de soutien (Jon Voight). Paradoxalement, il a gagné une récompense (Meilleure performance historique) aux Family Film Awards, décernée à Penelope Ann Miller .

Le biopic à l’épreuve de l’Histoire

Entre légende et superficielle vérité

L’adaptation s’appuie sur The Crusader: Ronald Reagan and the Fall of Communism (2006) de Paul Kengor, doublée de God and Ronald Reagan. Toutefois, le film survole longuement les aspects controversés : gestion du sida, Iran‑Contragate, tensions internes aux États-Unis ne sont que des ombres fugaces . La structure “héroïque” du récit écrase la complexité humaine de Reagan, réduite à une parade patriotique.

Même la tentative d’assassinat est traitée sans tension dramatique : on sait qu’il survit, et la scène manque de suspense. Le contraste entre reconstitution événementielle et absence de profondeur psychologique affaiblit l’impact global.

Innovation ou nostalgie recyclée ?

Le film propose un jeu avec les archives mêlées à la fiction, un style hybride en vogue dans certains documentaires contemporains . Pourtant, il n’ose pas se détacher du cadre du biopic traditionnel. Aucun effet visuel innovant, aucun travail d’écriture audacieux : le décor est rigoureux, le ton exemplaire, mais le film n’est jamais une proposition artistique radicale.

Un monument sans âme ?

Reagan se présente comme une fresque cinématographique impressionnante, efficace dans sa reconstitution et fidèle à la légende. Dennis Quaid offre une performance digne, Jon Voight tire le récit avec autorité, et McNamara soigne l’histoire sacrée. Mais si la forme est impeccable, le fond peine à décoller. Le film paraît plus célébration patriote que cinéma d’analyse ; hagiographie plus que drame humain. Ce biopic s’adresse volontiers aux admirateurs de Reagan, aux amateurs d’histoires lumineuses, mais il restera en-deçà pour ceux qui cherchent le trouble, la nuance, et la vérité complexe d’un homme et d’une époque.

Partager cet article :

Voir le profil de Claire

Claire

Je suis Claire, critique passionnée avec un regard acéré pour les détails artistiques. Mes critiques mêlent profondeur et élégance, offrant des perspectives uniques sur les médias. Avec une plume raffinée et une compréhension fine des œuvres, je m'efforce d'enrichir le dialogue et d'éclairer les spectateurs.

Soyez le premier à réagir

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

| Sur le même sujet