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Une entrée en matière à la marmelade, sucrée mais pas trop
Troisième opus d’une saga devenue synonyme de bienveillance pop, Paddington au Pérou choisit la voie la plus périlleuse : sortir l’ourson de sa zone de confort londonienne pour le ramener à ses origines andines. Aux manettes, Dougal Wilson, publicitaire et clippeur star (les fameuses pubs de Noël de John Lewis), signe ici son premier long métrage et prend la relève du duo Paul King/Simon Farnaby, gardiens du ton si particulier de la franchise. Résultat : une aventure familiale généreuse, souvent très drôle, parfois moins ciselée qu’autrefois, mais portée par une mise en scène qui sait mêler slapstick, tendre mélancolie et spectaculaire carte-postale. Sorti au Royaume-Uni le 8 novembre 2024, en France le 5 février 2025, puis aux États-Unis le 14 février 2025, le film a réuni un large public et suscité un accueil critique globalement positif, quoique plus nuancé que pour l’inoxydable Paddington 2.
De Londres aux Andes, l’ours qui cherchait sa tante
Tout commence par une lettre : au « Foyer des ours retraités » de Lima, la vénérable Tante Lucy ne va pas très bien. Ni une ni deux, la famille Brown et leur pensionnaire préféré s’envolent vers le Pérou pour lui rendre visite. À l’arrivée, une mauvaise surprise : Tante Lucy a disparu, la révérende mère n’ayant conservé d’elle que quelques indices énigmatiques. Guidés par une carte et un bracelet, les Brown et Paddington embarquent sur un bateau fluvial commandé par Hunter Cabot, flibustier charmeur, secondé par sa fille Gina. Leur quête les conduit des couvents chantants aux citadelles perdues, des rapides amazoniens aux sommets enveloppés de brume, avec une question têtue : et si la légende d’El Dorado n’était pas qu’un mirage ? Au terme d’une chasse au trésor pleine de rebondissements, c’est bien la fidélité à une famille — choisie ou retrouvée — qui sert de boussole émotionnelle. (Le cadre et plusieurs éléments de ce résumé sont confirmés par la presse : la communauté de sœurs, le capitaine de rivière, l’absence de Lucy au foyer, etc.)
Prendre la suite sans trahir
Dougal Wilson n’est pas un inconnu : ses clips (Coldplay, The Streets, Goldfrapp) et ses pubs à l’émotion « montée en larmes » lui ont valu prix et renommée. Mais passer du format court à l’odyssée familiale n’allait pas de soi. Dans plusieurs entretiens, Wilson décrit un tournage techniquement et culturellement « délicat », tant il fallait respecter le grimoire de la série (rythme comique, précision chorégraphique des gags, chaleur du regard) tout en ouvrant la porte à un souffle d’aventure plus ample. Sa touche : une façon très « musicale » d’orchestrer l’action, un goût pour le burlesque chorégraphié et une direction d’acteurs qui privilégie la retenue souriante plutôt que le clin d’œil appuyé. Surtout, Wilson s’est inséré dans l’écosystème Paddington (animation director Pablo Grillo, VFX supervisor Alexis Wajsbrot) sans le dénaturer, preuve d’une humilité précieuse pour un premier film.
Famille Brown et nouveaux visages
Ben Whishaw prête de nouveau sa voix veloutée à l’ourson — un travail d’intonation d’une délicatesse rare : jamais gnangnan, toujours à hauteur d’enfant. Hugh Bonneville reprend Henry Brown avec sa bienveillance un peu empotée, tandis que Mary Brown change de visage : Emily Mortimer succède à Sally Hawkins avec une douceur moins lunaire, plus pragmatique, et trouve rapidement sa place au sein du clan. Julie Walters (Mrs Bird) et Jim Broadbent (Mr Gruber) apportent leurs saveurs familières. Du côté des nouveaux venus, Olivia Colman compose une révérende mère à la fois caressante et malicieusement suspecte — le film s’offre même quelques parenthèses chantées —, et Antonio Banderas joue les aventuriers à l’ancienne avec un mélange de rouerie et de tendresse. La jeune Gina Cabot, d’abord annoncée pour Rachel Zegler, a finalement été interprétée par Carla Tous suite au conflit social de 2023, casting stabilisé lors des prises de vues principales. Imelda Staunton, enfin, redonne sa dignité fragile à l’inoubliable Tante Lucy. Tous, anciens et nouveaux, gravitent avec une cohérence enviable autour d’un héros numérique dont la présence reste miraculeusement tangible.
Dans l’œil d’Erik Wilson
Si Paddington au Pérou s’autorise de grands élans de studio, le film tient à ses textures de réel. Le chef opérateur Erik Wilson (aucun lien de parenté avec le réalisateur) a privilégié une image claire et « respirante », propice aux variations de lumière tropicale et montagnarde. La production a tourné au Royaume-Uni, en Colombie et au Pérou, avec des repérages et des prises de vues à Machu Picchu et Huayna Picchu, complétés par des plateaux pour les séquences les plus périlleuses. Les effets visuels — signés Framestore — ont agrégé plusieurs « couches » : plates réelles andines, décors construits, extensions numériques et photogrammétrie, notamment pour « la Citadelle », environnement composite inspiré sans pasticher les ruines incas. Le résultat, c’est une aventure qui garde l’organique comme étalon, et qui ne tombe jamais dans l’abstraction CG indistincte.
La petite cuisine des trucages
La méthode « Paddington » n’a pas changé : pas de capture de mouvement lourde, mais un système éprouvé où un interprète de plateau donne le rythme, la hauteur du regard et les intentions de jeu, avant que l’équipe animation n’affine l’ours plan par plan. Dougal Wilson raconte même avoir parfois utilisé un comédien espagnol spécialisé dans la gestuelle comique pour caler le slapstick, tandis que Ben Whishaw enregistrait ses répliques avec une précision musicale, parfois après un premier montage des scènes. Ce pipeline, déjà maîtrisé sur les films précédents, trouve ici un terrain nouveau : la jungle, l’eau, la boue — tous ces éléments « difficiles » pour l’intégration — qui exigent des simulations de fourrure et d’éclaboussures très fines. La séquence de la Citadelle, construite comme une poursuite en étages, fut l’une des plus complexes : scans de Machu Picchu, scans de décors, « kit of parts » architecturaux pour composer un lieu crédible, puis habillage végétal sur mesure. Le film assume ainsi un artisanat high-tech au service de la comédie visuelle, et c’est tout à son honneur.
Nouvelle carte, mêmes valeurs
Oui et non — et c’est là que la critique s’anime. Oui, parce que Paddington au Pérou élargit l’horizon mythologique de la saga : un peuple d’ours, des communautés cachées, des rites et des paysages qui relient le personnage à un passé plus vaste que le pavillon des Brown. Oui, parce que le récit assume un souffle d’aventure plus feuilletonesque, où l’on joue avec les codes de L’Île au trésor et d’Indiana Jones pour les plier à la morale « paddingtonienne » (gentillesse active, refus de l’exclusion, esprit de réparation). Oui, enfin, parce qu’il réussit à faire tenir ensemble la comédie domestique des Brown et un grand voyage initiatique.
Mais non, si l’on parle de l’étincelle d’invention qui faisait de Paddington 2 une comédie quasi parfaite. Plusieurs critiques britanniques l’ont relevé : en abandonnant la miniature londonienne (ses quartiers, ses boutiques, ses bus rouges) pour les panoramas péruviens, le film perd un peu de sa capillarité comique et de son sens du détail. Le gag est plus ample, moins précis ; l’émotion plus frontale, moins feutrée. Cela ne rend pas l’expérience moins plaisante, seulement un peu moins singulière.
Les comédiens à la manœuvre
Ben Whishaw demeure l’âme feutrée de la saga : sa diction, sa musicalité et son sens du contretemps comique permettent à l’ours d’exister à parts égales comme enfant, adulte et sage. Hugh Bonneville continue de faire d’Henry Brown un père doux, que l’inquiétude rend parfois héroïque. Emily Mortimer ne copie pas Sally Hawkins : elle propose une Mary Brown plus carrée, mais dont la témérité est communicative. Julie Walters vole des scènes d’un simple froncement de sourcil, Jim Broadbent apporte sa bonhomie espiègle, et les enfants Brown restent des partenaires de jeu très sûrs. Olivia Colman s’amuse comme rarement : sa révérende mère a des inflexions de comédie musicale et un grain de mystère qui galvanisent chaque apparition. Antonio Banderas, en capitaine fluvial à la fois filou et tendre, donne à l’aventure son goût de roman populaire. Quant à Carla Tous, elle fait oublier le feuilleton de casting et trouve une place claire dans la troupe. L’ensemble respire, porté par une direction d’acteurs qui préfère la justesse à l’esbroufe — on la doit à Wilson, visiblement très à l’aise avec les « mélanges » de registres.
Du chant, des larmes et de la sueur
Wilson excelle dans les enchaînements visuels : la cascade d’un gag qui se fluidifie en plan-séquence, un raccord inattendu qui ouvre une bouffée de poésie, une chanson qui naît d’un geste du quotidien. On retrouve sa science du rythme — héritage de la publicité et du clip —, mais bannie de tout cynisme. Le film passe d’une cuisine londonienne à un couvent liménien, puis à un radeau bricolé, sans perdre sa politesse de conteur. La photographie d’Erik Wilson modèle des verts profonds et des bleus laiteux qui évitent l’exotisme de carte postale. Les VFX, eux, ne cherchent pas l’esbroufe : l’intégration de Paddington dans la jungle, sous la pluie, sur un pont branlant, fonctionne parce que le jeu des acteurs « physiques » lui ménage toujours un espace. C’est une leçon : le numérique ne remplace pas l’humain, il le prolonge.
La signature sonore de Dario Marianelli
Dario Marianelli revient après Paddington 2 et confirme sa capacité à écrire des thèmes qui sourient sans minauder, à ménager les grands arcs d’aventure sans écraser la comédie. Sa partition alterne tendresse et entraînement, avec des pointes andines discrètes pour colorer sans caricaturer, ce qui n’était pas gagné vu le décor. On entend la main d’un compositeur rompu à l’élégance narrative : c’est un « coussin » musical qui porte Whishaw et cadre Banderas, sans jamais faire tapisserie.
Au Box Office
Côté chiffres, l’addition est solide : au moins 171 millions de dollars dans le monde selon Box Office Mojo, certaines sources totalisant environ 192 millions en fin d’exploitation internationale — écart qui reflète des méthodes de comptage différentes et des mises à jour successives. En Angleterre, l’ouverture a été particulièrement robuste pour un film britannique. Côté critiques, l’accueil est majoritairement favorable : agrégats positifs sur Rotten Tomatoes et note « généralement favorable » sur Metacritic, avec des réserves convergentes sur une étincelle inventive un peu moins flamboyante que par le passé. Bref, un succès populaire assumé, et une réception critique souriante mais plus nuancée.
Récompenses et honneurs
Le film a été nommé aux BAFTA 2025 dans la catégorie « Outstanding British Film », gage du respect que la profession lui accorde. Il n’a pas remporté le trophée, finalement attribué à Conclave, mais l’invitation parmi les finalistes parle d’elle-même. Côté musique, la partition de Dario Marianelli a figuré parmi les nominations de l’IFMCA (International Film Music Critics Association), tandis que Heartland Film lui a décerné son « Truly Moving Picture Award » — un label qui, pour cette saga au cœur sur la patte, a tout de l’évidence.
L’attention au Pérou
On pouvait redouter les pièges d’un exotisme facile. Le film les contourne en bonne partie en s’attachant aux gestes, aux lieux, aux visages, davantage qu’aux clichés. Le couvent liménien est un lieu de chaleur et de réconfort plutôt que de mystère folklorique ; la Citadelle, même fantasmée, s’inspire d’architectures réelles sans plagier Machu Picchu ; le fleuve n’est pas une jungle indifférenciée, mais un espace où les personnages se découvrent. En filmant une communauté d’ours andins comme « tribu » élargie de Paddington, Wilson met en scène une appartenance qui n’est ni sang ni sol, mais réseau de gestes et de souvenirs — une manière subtile de prolonger la politique douce de la saga, déjà sensible dans l’accueil londonien d’un migrant venu « d’outre-mer ».
Ce qui marche à plein régime
La délicatesse whishawienne, la troupe Brown toujours juste, l’humour chorégraphié de Wilson, la grâce simple de Marianelli, la précision feutrée des VFX : le film coche l’essentiel de ce qui fait Paddington. L’ourson reste un héros moral sans raideur, un catalyseur de bonté active. Les passages musicaux, portés par Olivia Colman, ajoutent une fantaisie bienvenue. L’ampleur du voyage permet au récit de respirer et d’alterner micro-gags (les maladresses gourmandes, les quiproquos de politesse) et grands mouvements (poursuites, tempêtes, révélations). Et, surtout, la conclusion retisse la thématique centrale : une famille, ça se fabrique, ça se retrouve, ça se choisit.
Là où le miel colle aux doigts
On sent pourtant la couture par endroits. Le déplacement vers l’aventure « carte au trésor » étire parfois le film au détriment du tempo comique millimétré qui faisait la signature des deux premiers volets. Quelques fulgurances londoniennes — les inventions buissonnières autour d’un pot de marmelade, l’horlogerie burlesque d’un quartier — manquent à l’appel. Et si l’on chipote, l’antagonisme principal paraît moins fort que par le passé ; on vit davantage d’obstacles que d’un « grand méchant » mémorable, même si un délicieux caméo mid-credits vient rappeler que la saga sait encore se jouer de son propre panthéon (bonjour Phoenix Buchanan).
Et pour le public francophone ?
Distribué chez nous sous le titre Paddington au Pérou, le film est arrivé en salles le 5 février 2025. Ce décalage par rapport au Royaume-Uni a des effets secondaires : bouche-à-oreille déjà installé, profusion de contenus making-of, et une presse française qui a largement suivi les critiques anglo-saxonnes dans leur bienveillance mesurée. Pour les spectateurs, c’est l’assurance d’un spectacle familial de grande tenue, plus épique que les précédents, moins ciselé peut-être, mais fidèle à ce qui fait l’ADN du héros : l’alliance de la drôlerie, de la politesse et d’un irrépressible besoin de réparer le monde à hauteur d’assiette à dessert.
Verdict « ours & or »
Paddington au Pérou n’est pas la petite perfection horlogère de Paddington 2. C’est autre chose : une respiration aventureuse qui ose changer de carte postale, un récit de retrouvailles où la famille choisie va chercher l’aïeule manquante jusque dans les hauteurs andines, une variation plus ample sur la politique douce de la saga. Le film est techniquement très abouti — photographie lumineuse, VFX à la fois sophistiqués et discrets, intégration étonnamment organique d’un héros numérique —, musicalement gracieux, et joué avec une justesse qui privilégie l’émotion simple à la démonstration. Si l’on regrette parfois une moindre densité de gags et un antagonisme moins marquant, on sort pourtant avec le sentiment rare qu’« tout ira bien ». Dans un paysage familial volontiers criard, il est précieux de voir un blockbuster prêcher la gentillesse comme une force active. À l’heure du vacarme, le sérieux d’un ours qui tartine la bonne confiture au bon endroit a quelque chose de radical — et d’irrésistiblement nécessaire.
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