Steve : Cillian Murphy Incarne la Fragilité de l’Éducation dans un Drame Viscéral et Imparfait

Films / Publié le 14 octobre 2025 par Claire
Temps de lecture : 15 minutes

24 heures dans l’enfer d’une école de la dernière chance

Steve est une réimagination du best-seller du Sunday Times de Max Porter, Shy, situé au milieu des années 90. Ce film de 2025, réalisé par Tim Mielants et écrit par Max Porter lui-même, nous plonge dans une journée chaotique et déterminante dans la vie d’un directeur d’école reformatrice et de ses élèves dans un monde qui les a abandonnés.

Le film met en vedette Cillian Murphy, Tracey Ullman, Jay Lycurgo, Simbi Ajikawo et Emily Watson, un casting de premier ordre pour un drame qui explore les limites du système éducatif britannique et la fragilité de ceux qui tentent de le maintenir à flot. Steve est sorti dans certaines salles au Royaume-Uni et aux États-Unis le 19 septembre, avant d’être diffusé dans le monde entier sur Netflix le 3 octobre 2025.

Le film suit le directeur Steve qui se bat pour la survie de son école reformatrice tout en gérant sa santé mentale. Simultanément, l’élève troublé Shy navigue entre ses tendances violentes et sa fragilité, déchiré entre son passé et ses perspectives d’avenir. Cette double narration crée un portrait complexe et douloureux du système éducatif pour les jeunes marginalisés.

Tim Mielants : De la télévision européenne au cinéma intimiste

Tim Mielants n’est pas un nom que le grand public connaît nécessairement, mais c’est un réalisateur dont le travail en télévision (notamment sur Peaky Blinders, Legion et Atlanta) a été salué pour son approche visuelle distinctive et son sens du rythme narratif. Steve est la dernière collaboration entre le nouveau lauréat de l’Oscar Cillian Murphy et le réalisateur Tim Mielants, dont le travail précédent ensemble sur le drame historique irlandais Small Things Like These sera certainement considéré comme l’un des films les plus malheureusement sous-estimés de la décennie.

Avec Steve, Mielants confirme sa transition vers le cinéma d’auteur avec une approche immersive et quasi-documentaire. Durant une journée intense, le directeur dévoué d’une école reformatrice de dernière chance s’efforce de maintenir ses élèves dans le droit chemin tout en faisant face à ses propres pressions. Cette structure temporelle condensée rappelle des films comme Dog Day Afternoon ou Dunkirk, où la compression du temps amplifie la tension et l’urgence.

Le réalisateur utilise une caméra souvent portée, des plans rapprochés claustrophobiques et un montage nerveux pour nous plonger dans le chaos quotidien de Stanton Wood. Chaque couloir devient un labyrinthe émotionnel, chaque salle de classe un champ de bataille psychologique. Mielants filme l’école comme un organisme vivant au bord de l’effondrement, reflétant l’état mental de son directeur.

Cillian Murphy : La vulnérabilité derrière l’autorité

Cillian Murphy, fraîchement auréolé de son Oscar pour Oppenheimer, choisit ici un rôle aux antipodes de J. Robert Oppenheimer. Steve n’est pas un génie brillant mais tourmenté ; c’est un homme ordinaire qui se bat contre des forces systémiques écrasantes avec des ressources limitées et une santé mentale précaire.

Le scénario ne parvient pas à trouver de profondeur dans certains de ses personnages les plus cruciaux et semble parfois d’une intensité performative, mais le lauréat de l’Oscar pour Oppenheimer brille tout au long du film, ajoutant subtilité et grâce là où d’autres acteurs auraient ignoré ces nuances. Cette observation capture parfaitement la performance de Murphy : il transcende un matériel parfois inégal par la seule force de son engagement et de sa présence.

Cillian Murphy offre une performance très ancrée dans un film chaotique et magnifiquement filmé. Il plonge dans des commentaires sociaux négligés dans un film qui vous fait traverser les tempêtes de la santé mentale et l’immobilité du sentiment d’être vu tout en voulant être invisible. Murphy incarne Steve avec une fragilité palpable, montrant un homme au bord de la rupture qui refuse néanmoins d’abandonner ses élèves.

Steve est presque toujours à l’écran, mais il ne semble jamais être plus qu’un type standard ou un autre : l’enseignant bienveillant, le tribun, le toxicomane en rétablissement aux jointures blanches. Cette critique, bien que sévère, pointe vers un problème réel du film : le personnage de Steve oscille entre plusieurs archétypes sans jamais totalement s’ancrer dans une identité cohérente. Cependant, on peut arguer que cette multiplicité reflète précisément la réalité de ces directeurs qui doivent être tout pour tout le monde – parent, thérapeute, disciplinaire, confident – au détriment de leur propre intégrité psychologique.

Murphy utilise son visage expressif et ses yeux perçants pour communiquer les fissures sous la surface. Chaque micro-expression révèle la fatigue accumulée, le doute constant, la peur de l’échec. C’est une performance remarquablement intériorisée dans un film souvent bruyant et chaotique.

Jay Lycurgo et la jeunesse abandonnée

Face à Murphy, Jay Lycurgo incarne Shy, l’élève au cœur du film. Shy représente tous ces jeunes que la société a abandonnés – violents par nécessité, fragiles par nature, déchirés entre le désir d’appartenance et la peur de la vulnérabilité.

Steve ne révolutionne pas nécessairement le genre « étudiant en difficulté ». Cependant, il offre quelque chose de différent. Mielants contourne les risques de banalité ou d’exploitation en nous ancrant de manière créative et réfléchie dans qui sont les gens de Stantonwood, plutôt que dans ce qu’ils représentent. Cette approche humanisante fait toute la différence entre un film didactique et un portrait authentique.

Lycurgo apporte une authenticité brute à Shy qui évite la caricature du « jeune délinquant ». Son personnage est complexe, contradictoire, parfois sympathique et parfois repoussant – exactement comme un vrai adolescent traumatisé le serait. La relation entre Steve et Shy devient le cœur émotionnel du film, une danse délicate entre l’autorité et la confiance, entre le besoin d’aide et la peur de la dépendance.

Le casting des autres élèves de Stanton Wood mérite également d’être salué. Chaque jeune homme apporte sa propre histoire, ses propres blessures. Le film évite le piège de présenter une masse indifférenciée de « jeunes en difficulté » pour offrir des portraits individuels, même brefs.

Le casting de soutien : Des vétérans au service du récit

Tracey Ullman, Emily Watson et les autres acteurs expérimentés du casting apportent une crédibilité institutionnelle au film. Ils incarnent le personnel de l’école, les bureaucrates, les travailleurs sociaux – tous ces adultes qui gravitent autour de ces jeunes avec plus ou moins de bonne volonté et de compétence.

Ces personnages secondaires auraient pu être des archétypes unidimensionnels (l’administrateur froid, l’enseignant cynique, le travailleur social idéaliste), mais le script et les performances leur donnent suffisamment de nuances pour qu’ils se sentent réels. Chacun porte son propre fardeau, sa propre frustration face à un système défaillant.

L’intensité d’une seule journée

Steve concerne 24 heures chaotiques dans la vie de son personnage principal, qui dirige un pensionnat pour jeunes hommes en difficulté appelé Stanton Wood. Steve aime clairement les garçons là-bas, ceux que la société a rejetés. Cette compression temporelle est à la fois une force et une faiblesse du film.

D’un côté, elle crée une urgence palpable et une intensité émotionnelle soutenue. Nous vivons cette journée avec Steve, ressentant chaque crise qui s’accumule, chaque problème qui menace de faire s’effondrer le fragile équilibre. Le temps réel (ou presque) nous permet de comprendre viscéralement l’épuisement de ce travail, l’impossibilité de répondre à tous les besoins simultanément.

D’un autre côté, cette structure limite le développement des personnages et du contexte. Nous apprenons peu sur le passé de Steve au-delà de quelques allusions à son addiction et à ses propres traumatismes. Les élèves restent largement définis par leur comportement présent plutôt que par leur histoire complète.

Le film de Tim Mielants essaie très fort d’être une représentation immersive et bouleversante du dur labeur de la réhabilitation. Ça ne tient pas tout à fait. Cette critique d’IndieWire pointe vers un problème réel : malgré son intensité et ses bonnes intentions, Steve peine parfois à transcender ses propres ambitions pour devenir véritablement mémorable.

L’échec systémique et la résilience humaine

Au-delà de son récit immédiat, Steve explore plusieurs thèmes profonds qui résonnent bien au-delà de son cadre britannique des années 90.

L’échec du système éducatif : Stanton Wood est présenté comme une école de « dernière chance », mais le film questionne constamment ce que cela signifie. Dernière chance avant quoi ? La prison ? La rue ? La mort ? Le film montre un système éducatif qui a abdiqué sa responsabilité envers ces jeunes, les parquant dans des institutions sous-financées et attendant qu’ils échouent.

La santé mentale des éducateurs : Steve lui-même est en convalescence, probablement d’une addiction, certainement d’un burnout. Le film explore courageusement comment on peut aider les autres quand on peine soi-même à rester à flot. Cette dimension est particulièrement pertinente à une époque où les enseignants et éducateurs du monde entier font face à des niveaux de stress et d’épuisement sans précédent.

Le cycle du trauma : Les élèves de Stanton Wood reproduisent souvent les violences qu’ils ont subies. Le film montre avec sensibilité comment briser ces cycles est un travail titanesque qui nécessite du temps, des ressources et une patience que la société n’est souvent pas prête à investir.

La masculinité toxique et vulnérable : Dans un environnement entièrement masculin, le film explore les différentes façons dont les hommes – jeunes et moins jeunes – gèrent leurs émotions, leur violence, leur besoin de connexion. Steve et ses élèves sont tous emprisonnés dans des attentes de masculinité qui les empêchent d’exprimer pleinement leur vulnérabilité.

Direction artistique et cinématographie : La beauté dans le chaos

Visuellement, Steve est un film remarquable. La photographie capture l’architecture imposante et légèrement décrépite de l’école (tournée à Bath, Somerset), créant une atmosphère de grandeur déchue qui reflète parfaitement l’état de l’institution.

Les couleurs sont désaturées, privilégiant les gris, les bruns et les verts ternes qui communiquent l’austérité et la morosité de l’environnement. Quand la couleur apparaît – un rayon de soleil à travers une fenêtre, le rouge d’un sweat-shirt – elle frappe d’autant plus fort.

La caméra de Mielants est souvent en mouvement, suivant Steve dans ses déambulations frénétiques à travers l’école. Ces longs plans-séquences créent une continuité spatiale et temporelle qui renforce l’immersion. Nous ne sommes pas des observateurs extérieurs mais des participants essoufflés dans cette journée épuisante.

Le design sonore mérite également d’être souligné. Le film utilise les bruits ambiants – conversations lointaines, portes qui claquent, pas dans les couloirs – pour créer une texture sonore dense qui communique le chaos constant de l’environnement. Les moments de silence, rares et précieux, en deviennent d’autant plus puissants.

Ce qui fonctionne

Steve possède plusieurs qualités indéniables qui en font une expérience cinématographique mémorable :

La performance de Cillian Murphy : Même face à un matériel parfois inégal, Murphy livre une interprétation nuancée et profondément humaine qui ancre le film émotionnellement.

L’authenticité du cadre : Le film évite largement les clichés du genre « école difficile » pour offrir un portrait qui semble vécu et authentique.

L’immersion visuelle : La mise en scène de Mielants nous plonge littéralement dans l’environnement claustrophobique et stressant de Stanton Wood.

La complexité morale : Le film refuse les solutions simples ou les messages édifiants faciles. Il montre la réhabilitation comme un processus messy, incertain, souvent décevant, mais néanmoins nécessaire.

Le respect des personnages : Malgré leurs défauts et leurs erreurs, tous les personnages – éducateurs et élèves – sont traités avec dignité et empathie.

Les faiblesses

Malgré ses ambitions louables et ses réussites partielles, Steve souffre de plusieurs problèmes significatifs :

Manque de profondeur narrative : Une des plus grandes faiblesses de Porter est qu’il ne nous permet pas de connaître véritablement ces personnages au-delà de leur fonction dans l’histoire. Cette observation touche un problème fondamental : nous observons ces personnages dans un moment de crise sans vraiment comprendre qui ils sont au-delà de cette crise.

Intensité performative : Le film est constamment à 11 sur une échelle de 10. Cette intensité ininterrompue, bien qu’efficace pour communiquer le stress de l’environnement, devient épuisante pour le spectateur et rend difficile la différenciation entre les moments véritablement cruciaux et le chaos quotidien.

Structure limitante : Le choix de la journée unique, bien qu’immersif, empêche le film de véritablement explorer les trajectoires de ces personnages. Nous ne voyons ni leurs progrès ni leurs rechutes dans le temps.

Résolution insatisfaisante : Le film se termine de manière relativement ouverte, ce qui est courageux mais peut laisser le spectateur avec un sentiment d’inachèvement. Certaines intrigues restent suspendues sans résolution claire.

Archétypes reconnaissables : Malgré les efforts pour humaniser les personnages, certains restent cantonnés à des rôles prévisibles du genre « drame scolaire ».

Un accueil mitigé mais respectueux

Sur le site d’agrégation de critiques Rotten Tomatoes, 77% des 82 critiques sont positives, ce qui indique une réception globalement favorable mais loin de l’unanimité. Le film obtient une note de 6.5 sur IMDb, reflétant une appréciation solide du public sans enthousiasme excessif.

Cette réception partagée reflète les qualités et défauts du film. Les critiques louent presque unanimement la performance de Murphy et l’ambition thématique du projet, mais beaucoup pointent vers les limites narratives et structurelles qui empêchent le film d’atteindre la grandeur.

Les comparaisons avec d’autres films du genre – Dead Poets Society, Dangerous Minds, Half Nelson – sont inévitables mais souvent défavorables. Steve ne possède ni la clarté narrative de Dead Poets Society ni l’équilibre délicat entre espoir et désespoir de Half Nelson. Il occupe un espace inconfortable entre le drame réaliste et le mélodrame édifiant, ne parvenant jamais totalement à choisir son camp.

Steve et le cinéma social britannique

Le film s’inscrit dans une longue tradition du cinéma social britannique, de Ken Loach à Andrea Arnold, qui explore les marges de la société britannique avec un regard compatissant mais sans concession. Comme les meilleurs films de ce genre, Steve refuse de romantiser la pauvreté ou de présenter des solutions simplistes à des problèmes systémiques complexes.

La période des années 90, avec sa politique néolibérale sous John Major puis Tony Blair, fournit un contexte historique pertinent. C’était une époque où les institutions sociales britanniques étaient progressivement démantelées ou privatisées, où le discours sur la responsabilité individuelle remplaçait celui de la solidarité collective. Stanton Wood existe dans ce contexte comme un vestige d’une ère révolue, une tentative désespérée de maintenir un filet de sécurité pour ceux que le nouveau système laisse derrière.

Un film nécessaire mais imparfait

Steve n’est pas un film parfait. Il souffre de problèmes structurels, de développement inégal des personnages et d’une intensité parfois écrasante qui dilue son propre impact. Mais c’est un film important qui mérite d’être vu et discuté.

Cillian Murphy continue de prouver qu’il est l’un des acteurs les plus intéressants de sa génération, capable d’apporter profondeur et nuance même à des rôles qui pourraient facilement verser dans le cliché. Tim Mielants confirme son talent de réalisateur capable de créer des mondes immersifs et émotionnellement résonnants.

Plus important encore, Steve pose des questions cruciales sur notre responsabilité collective envers les jeunes marginalisés. Dans un monde où les inégalités se creusent et où les institutions publiques sont constamment sous pression, le film rappelle le coût humain de notre désinvestissement dans l’éducation et la réhabilitation.

Le film ne propose pas de réponses – il ne prétend pas que l’amour et la bonne volonté suffisent à réparer des décennies de négligence systémique. Mais il insiste sur la dignité inhérente de chaque jeune, sur la nécessité de continuer à essayer même face à des échecs répétés. C’est un message sombre mais nécessaire, porté par une performance remarquable et une réalisation ambitieuse.

Verdict : Un drame social intense et émotionnellement épuisant qui brille par la performance de Cillian Murphy mais trébuche sur ses ambitions narratives. Steve est un film imparfait mais sincère qui mérite d’être vu pour son portrait sans concession du système éducatif britannique et de ceux qui tentent, contre toute attente, de le faire fonctionner. Disponible sur Netflix, c’est une expérience éprouvante mais mémorable qui vous hantera longtemps après les crédits.

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Claire

Je suis Claire, critique passionnée avec un regard acéré pour les détails artistiques. Mes critiques mêlent profondeur et élégance, offrant des perspectives uniques sur les médias. Avec une plume raffinée et une compréhension fine des œuvres, je m'efforce d'enrichir le dialogue et d'éclairer les spectateurs.

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