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Un choc d’action et de science-fiction qui veut tout embrasser
D’emblée, Tomorrow War frappe par son ambition de remettre le blockbuster d’action au service d’un récit de science-fiction grand public : envoyé en 2051 par un futur qui implore de l’aide, un groupe de soldats et de civils doit affronter une menace extraterrestre pour sauver l’humanité. Porté par Chris Pratt et réalisé par Chris McKay, le film a trouvé sa voie principalement sur les plateformes de streaming — Amazon Prime Video a acquis la distribution et l’a lancé mondialement le 2 juillet 2021 — après avoir été retardé par la pandémie. Produit à l’échelle d’un grand studio avec un budget évalué à environ 200 millions de dollars, Tomorrow War joue la carte du spectacle massif : explosions, créatures conçues pour terrifier, et un tempo qui cherche à marier émotion familiale et action spectaculaire.
Quand le futur vient recruter
Le film s’ouvre sur une image simple et glaçante : des soldats du futur traversent une faille temporelle et annoncent que des centaines de millions d’humains vont périr dans quelques décennies, victimes d’une espèce alien rapide et ravageuse appelée les Whitespikes. Face à l’effondrement des lignes de front en 2051, les armées du monde mettent en place un « draft » temporel : envoyer des soldats et des civils du passé — précisément des années 2020 — pour renforcer les forces du futur. Dan Forester, professeur de biologie et vétéran vétéran de guerre joué par Chris Pratt, se retrouve propulsé au cœur du conflit. Sa trajectoire personnelle — père séparé, lien fragile avec sa fille — s’entrelace avec la mission : comprendre d’où viennent les créatures, trouver une faiblesse et empêcher la catastrophe. Le film articule ainsi deux enjeux : l’immédiat de la bataille et le tressage intime d’un homme qui cherche à réparer sa vie. Wikipedia
Chris McKay : du Lego à la mitraille
Chris McKay signe ici sa première incursion dans le live-action après une carrière principalement animée (notamment The Lego Batman Movie et des épisodes de Robot Chicken). Le réalisateur affirme vouloir « tourner comme un grand film » et privilégier des prises de vues sur le terrain plutôt que le studio pur et dur, une volonté qui transparaît dans les choix de décors et l’utilisation mesurée d’écrans verts. Ce basculement artistique montre McKay déterminé à prouver qu’un réalisateur issu de l’animation peut tenir la barre d’un actioner hollywoodien à gros budget tout en insufflant du rythme et de l’humour à une trame par moments très sombre. Son expérience en animation sert le film sur un point précis : la maîtrise du mouvement et de la composition, visible dans les séquences de foule et dans la chorégraphie des affrontements contre les Whitespikes. Wikipedia
Chris Pratt et la troupe : des visages connus dans un registre frontal
Le casting tient une place majeure dans l’équilibre du film. Chris Pratt incarne Dan Forester avec l’autorité qu’on lui connaît : mélange de second degré, de détermination et d’un certain empressement émotionnel. À ses côtés, Yvonne Strahovski compose le rôle de Muri Forester, la fille adulte de Dan venue du futur et devenue leader militaire ; J. K. Simmons incarne James Forester, le père ronchon et complexe de Dan ; Betty Gilpin campe Emmy, l’épouse et conscience morale du héros ; Sam Richardson apporte une touche inattendue et souvent saluée de chaleur humaine dans le rôle de Charlie, un scientifique-soldat dont la présence éclaire la mission d’un humour généreux. Edwin Hodge, quant à lui, incarne Dorian, soldat endurci et porteur d’un sous-texte tragique. Cette distribution mélange têtes d’affiche et seconds rôles solides, et le film s’appuie sur leurs interactions pour donner au spectacle un cœur humain qui évite, la plupart du temps, de n’être qu’un enchaînement d’explosions.
Du Sud des États-Unis aux glaciers d’Islande
Contrairement à certains blockbusters purement générationnels d’effets numériques, la production de Tomorrow War a multiplié les lieux réels : le tournage a débuté en septembre 2019 en Géorgie (Lincolnton, Atlanta, Buckhead, Graves Mountain) et s’est étendu jusqu’en janvier 2020. Pour les scènes « russes » et les étendues glacées, l’équipe est même allée tourner en Islande, sur le glacier Vatnajökull, afin d’obtenir une texture physique qui, selon McKay, participe à « faire sentir » l’environnement et non pas seulement le simuler. Ces choix ont renforcé l’impression d’un film qui, même s’il repose énormément sur la postproduction, mise sur une présence matérielle des éléments — rues détruites filmées à Atlanta, plates-formes en mer reconstituées, et plates-formes de studio pour les scènes les plus massives. Cette hybridation de tournage réel et d’effets VFX ambitieux vise à maintenir une tension tangible.
Quand l’imagination rencontre l’artisanat VFX
L’un des défis techniques du film était évidemment la matérialisation des Whitespikes, ces créatures rapides, piquantes et voraces qui constituent la menace centrale. Le design a été confié à des équipes spécialisées en creature design qui ont multiplié les concepts (plus de soixante-sept idées testées avant d’aboutir) pour parvenir à un rendu à la fois terrifiant et crédible. Les studios VFX, parmi lesquels Luma Pictures, Framestore et d’autres, ont livré des centaines de plans numériques ; Luma a, par exemple, réalisé un nombre substantiel de plans (près de 248 shots selon leurs équipes) qui servent les séquences d’attaque et de déchaînement des créatures. Sur le plan pratique, plusieurs effets ont d’abord été conçus avec des éléments physiques (fumée dense pour le « saut temporel », pyrotechnie pour les scènes d’assaut) avant d’être enrichis numériquement, mélange qui donne au film une texture parfois plus convaincante que les blockbusters purement synthétiques.
Des idées, pas une révolution
Sur la question de l’innovation pure, Tomorrow War n’invente pas une nouvelle grammaire du film de guerre ou de science-fiction. Son mécanisme narratif — le draft temporel qui envoie des soldats dans un futur apocalyptique — rappelle d’autres récits (on pense à Edge of Tomorrow pour la boucle temporelle et à Starship Troopers pour l’allégorie militaire). Pourtant, le film apporte quelques variantes : une emphase sur le lien familial intergénérationnel (la fille venue du futur et le père ramené à ses responsabilités), une hypothèse explicative pseudo-scientifique liant l’émergence des créatures au dégel ancien et à la pulvérisation de spores, et une approche du time-travel moins mécanique que dramatique. L’originalité tient moins à la prémisse qu’à la façon dont McKay tente d’équilibrer spectacle, émotion et quelques réflexions sur cause et conséquence. Le résultat convainc par moments, mais ne prétend pas révolutionner le genre.
Entre bravoure et surjeu
Si les critiques ont parfois pointé du doigt la lourdeur scénaristique et l’épaisseur du script, la plupart s’accordent à reconnaître que la distribution fait tenir l’ensemble. Chris Pratt apporte sa familiarité charismatique aux scènes d’action et aux échanges plus intimes ; il ancre le film grâce à un registre de père ordinaire plongé dans l’extraordinaire. Yvonne Strahovski, qui joue la version militaire et blessée de sa fille, trouve des instants de dureté convaincants ; J. K. Simmons apporte sa présence grave et rugueuse, tandis que Betty Gilpin, dans le rôle d’une femme marquée par la guerre du futur, offre un contrepoint humain et sensible. Sam Richardson a été fréquemment cité comme une des révélations du film, son jeu permettant d’équilibrer l’émotion et la bouffonnerie dans des scènes tendues. Globalement, l’interprétation sauve souvent des passages narrativement faibles en offrant une attention aux personnages qui empêche l’œuvre de devenir entièrement creuse.
Amour-haine et chiffres de streaming
À la sortie, la critique a rendu un verdict contrasté : le film obtient des scores moyens sur les agrégateurs (Rotten Tomatoes autour de 52 % et Metacritic proche de 45/100), traduisant un partage entre louanges pour le spectacle et reproches pour la construction dramatique. Pourtant, sur le plan de l’audience, Tomorrow War a été un succès d’audience sur Prime Video : il a battu des records de visionnage pour Amazon, étant suivi par des millions de foyers dans les semaines suivant la sortie et devenant l’un des titres les plus consommés de l’été 2021 sur la plateforme. Sur le plan strictement théâtral, la sortie a été limitée (notamment une exploitation en Chine) et le box-office physique reste modeste au regard du budget, mais l’impact global s’évalue surtout via la portée streaming. Le film illustre ainsi la nouvelle logique commerciale : gros budget, sortie directe en VOD/streaming, et enjeu de captation d’audience plutôt que de recettes classiques.
Nominations techniques plutôt qu’artistiques
Tomorrow War n’a pas été un film de festival ni un chasseur de trophées prestigieux mais il a reçu quelques reconnaissances techniques, notamment dans les catégories effets visuels et animation. On relève des nominations aux Annie Awards pour l’animation de personnages en live-action et des mentions liées aux effets visuels dans des cérémonies spécialisées. C’est un constat logique : le film est avant tout pensé comme une machine spectaculaire, et son capital de reconnaissance se situe là où le spectacle se construit — effets, créatures et séquences d’action — plutôt que sur la partition dramatique ou l’écriture.
Un film généreux mais parfois bancal
Parmi les forces du film, on retiendra l’effort de mise à l’échelle (budget, décors, VFX), la volonté de mêler émotion familiale et action, ainsi que quelques scènes de bataille mémorables où l’on sent une vraie direction d’ensemble. Parmi les faiblesses, la longueur (près de 138 minutes), des rebondissements parfois téléphonés et un dernier acte qui verse dans l’excès spectaculaire sans complètement résoudre toutes les questions posées. On peut reprocher au scénario un certain empilement d’idées scientifiques et dramatiques qui auraient gagné à être resserrées ; à l’inverse, la générosité du film — et son goût pour la confrontation — en fait une expérience parfaitement regardable si l’on accepte ses conventions.
Un blockbuster qui convainc par intermittence
En définitive, Tomorrow War n’est pas un monument du genre, mais c’est un blockbuster abouti dans sa promesse de divertissement massif : spectacle, moments de bravoure, et un cœur familial qui donne de l’épaisseur à la narration. Pour les spectateurs en quête d’un actioner de science-fiction généreux, porté par des effets travaillés et quelques bonnes performances, le film délivre largement. Pour ceux qui cherchent une science-fiction de rupture, plus conceptuelle ou plus serrée, il restera un objet hybride : ambitieux, parfois maladroit, mais rarement ennuyeux.
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