
Le retour des gardiens dans une nouvelle dimension
Watchmen Chapter I est un film d’animation pour adultes de 2024 réalisé par Brandon Vietti et écrit par J. Michael Straczynski, avec un casting vocal comprenant Matthew Rhys, Katee Sackhoff, Titus Welliver, Troy Baker, Adrienne Barbeau et Michael Cerveris. Sorti le 13 août 2024 en numérique et le 27 août en 4K Ultra HD et Blu-ray, ce film représente la première partie d’une adaptation en deux volets de l’œuvre séminale d’Alan Moore et Dave Gibbons qui a révolutionné le genre super-héroïque dans les années 80.
Le film suit un groupe de super-héros retraités dans une Amérique alternative de 1985 et l’enquête qui s’ensuit après le meurtre de l’un d’entre eux. Warner Bros. Animation a annoncé dès avril 2017 qu’elle développait un film d’animation classé R basé sur la bande dessinée, et lors du Comic-Con de San Diego 2023, il a été révélé que le projet serait divisé en deux chapitres.
En tant que critique de cinéma, aborder Watchmen est toujours délicat. L’œuvre originale est considérée comme l’une des plus grandes réussites du médium de la bande dessinée, un texte fondateur qui a déconstruit les mythologies super-héroïques avec une intelligence et une complexité rares. Toute adaptation porte le poids écrasant de cette réputation, et Watchmen Chapter I ne fait pas exception.
Adapter l’inadaptable (encore)
Watchmen n’en est pas à sa première adaptation. En 2009, Zack Snyder avait déjà porté l’œuvre au cinéma dans un film ambitieux de près de trois heures qui divisait autant qu’il fascinait. En 2019, Damon Lindelof créait une série HBO qui choisissait de continuer l’histoire plutôt que de la répéter, avec un succès critique retentissant.
Cette nouvelle version animée représente donc une troisième tentative majeure de capturer l’essence de l’œuvre de Moore et Gibbons. Divisé en deux parties et utilisant l’animation 3D, Watchmen adhère très strictement au matériau source, le Chapitre 1 se déroulant presque exactement comme la graphic novel.
Cette fidélité scrupuleuse est à la fois la plus grande force et la plus grande faiblesse du film, comme nous le verrons.
Brandon Vietti : La rigueur d’un artisan de l’animation DC
Brandon Vietti n’est pas un inconnu dans le monde de l’animation super-héroïque. Vétéran de Warner Bros. Animation, il a co-créé la série acclamée Young Justice et a travaillé sur de nombreux films d’animation DC. Il apporte à Watchmen Chapter I son expertise technique et sa compréhension profonde de la mythologie DC.
La réalisation de Vietti est méticuleuse, presque académique dans sa volonté de respecter chaque panel de la graphic novel. Il compose ses plans comme des reproductions animées des cases de Gibbons, préservant la composition, les angles, même les choix de couleurs de l’œuvre originale.
Cette approche révérencielle crée une expérience étrangement hybride : nous regardons un film d’animation, mais nous avons constamment l’impression de feuilleter la bande dessinée. Pour les puristes, c’est un rêve devenu réalité. Pour ceux qui espéraient une réinterprétation plus audacieuse, c’est une occasion manquée.
Vietti excelle dans les séquences d’action, utilisant les possibilités de l’animation pour créer des combats fluides et viscéraux. La violence du film est graphique, justifiant son classement R, et ne recule jamais devant la brutalité inhérente à l’histoire.
J. Michael Straczynski : Le scénariste respectueux (à l’excès ?)
J. Michael Straczynski, légende de la science-fiction grâce à Babylon 5 et auteur de nombreux comics Marvel et DC, semble avoir reçu une directive claire : rester fidèle au texte. Malgré les meilleures intentions des cinéastes, le film est fidèle jusqu’à la faute – essentiellement une version abrégée et superflue de la graphic novel célébrée.
Le scénario de Straczynski reprend des pans entiers de dialogues directement de Moore, préserve la narration non linéaire complexe de l’original, et tente de condenser les six premiers chapitres de la série en un peu moins de 90 minutes. C’est un exercice d’équilibriste qui réussit techniquement mais qui soulève la question : pourquoi créer une adaptation si elle ne fait que répéter l’original ?
Les coupes nécessaires pour adapter un matériau aussi dense sont inévitables. Certaines sous-intrigues sont condensées, quelques moments de développement des personnages sont perdus, mais l’essentiel de la trame narrative reste intact. Les lecteurs de la graphic novel reconnaîtront chaque beat majeur de l’histoire.
Le casting vocal : Des performances solides au service du texte
Le casting vocal réuni pour Watchmen Chapter I est impressionnant, combinant des vétérans de l’animation et des acteurs reconnus.
Matthew Rhys (connu pour The Americans) incarne Dan Dreiberg/Nite Owl II, apportant une vulnérabilité et une mélancolie appropriées à cet ancien héros en pleine crise de sens. Rhys capture parfaitement l’impuissance et la nostalgie de Dan.
Katee Sackhoff (Battlestar Galactica, The Mandalorian) prête sa voix à Laurie Jupiter/Silk Spectre II, offrant une performance nuancée qui équilibre la force et la fragilité du personnage. Sackhoff réussit à rendre palpable le poids émotionnel que porte Laurie.
Titus Welliver (Lost, Bosch) incarne Rorschach, le vigilante masqué sans compromis au cœur moral inflexible. Avec le doublage de Jackie Earle Haley en Rorschach et celui de Jeffrey Dean Morgan en Edward Blake, l’histoire était plus sombre dans le film de Snyder. Welliver apporte sa propre interprétation, plus sobre que celle de Haley mais tout aussi intense.
Troy Baker, légende du doublage de jeux vidéo (The Last of Us), incarne Adrian Veidt/Ozymandias, le « plus intelligent du monde », avec une arrogance aristocratique parfaitement calibrée.
Michael Cerveris prête sa voix à Dr. Manhattan, l’être quasi-omnipotent dont le détachement de l’humanité constitue l’un des thèmes centraux de l’œuvre. Cerveris capture cette aliénation croissante avec une modulation vocale de plus en plus monotone et distante.
Adrienne Barbeau incarne Sally Jupiter, la première Silk Spectre, dans des flashbacks qui explorent le passé glorieux et trouble des héros costumés.
Le doublage était vraiment bon, et cette unanimité critique témoigne de la qualité des performances. Chaque acteur apporte sa sensibilité propre tout en respectant l’esprit des personnages iconiques.
Entre fidélité esthétique et limitations techniques
L’animation en 3D de Watchmen Chapter I adopte un style qui tente de capturer l’esthétique de la graphic novel tout en utilisant les possibilités modernes de l’animation digitale. Le résultat est visuellement cohérent mais parfois rigide.
L’animation est plus fidèle que la version de Zack jusqu’à présent, suggérant que Vietti a réussi à capturer visuellement l’esprit de l’œuvre originale mieux que le film live-action ne l’avait fait. Les designs des personnages sont directement issus des dessins de Gibbons, préservant leurs silhouettes et leurs costumes iconiques.
La palette de couleurs reproduit le travail de John Higgins sur la bande dessinée originale, avec ses jaunes éclatants, ses oranges brûlés et ses bleus froids qui créent une atmosphère de tension paranoïaque. L’alternative 1985 de Watchmen est rendue avec une attention méticuleuse aux détails, des graffitis « Who Watches the Watchmen? » aux journaux annonçant l’escalade de la guerre froide.
Cependant, l’animation souffre parfois d’une certaine raideur. Les mouvements des personnages peuvent paraître mécaniques, et certaines expressions faciales manquent de la subtilité nécessaire pour transmettre pleinement les nuances émotionnelles complexes de l’histoire. C’est particulièrement notable dans les scènes intimistes où les micro-expressions seraient cruciales.
Les séquences d’action, en revanche, bénéficient pleinement des possibilités de l’animation. Le combat entre Rorschach et la police, l’assassinat brutal du Comédien, les démonstrations de pouvoir de Dr. Manhattan – tous ces moments sont rendus avec une fluidité et une intensité viscérale.

Fidélité chronologique versus cohésion cinématographique
Watchmen, dans sa forme originale, est une œuvre complexe de douze chapitres qui entrelace habilement plusieurs lignes temporelles, perspectives narratives et sous-intrigues. Moore et Gibbons utilisaient brillamment les possibilités du médium de la bande dessinée – les transitions visuelles, les parallèles thématiques entre différentes histoires, la narration en voix off qui contredit ou complète l’action visuelle.
Vietti et Straczynski tentent de préserver cette structure, avec un succès mitigé. La narration reste non linéaire, sautant entre le présent de 1985 et divers flashbacks qui révèlent l’histoire des Minutemen et l’origine des héros actuels. Les passages de « Tales of the Black Freighter », la bande dessinée pirate lue par un personnage secondaire et qui fonctionne comme un miroir thématique de l’intrigue principale, sont brièvement inclus mais perdent une grande partie de leur impact dans la condensation.
Le rythme du film est nécessairement accéléré. Là où la graphic novel pouvait prendre son temps, établissant l’atmosphère, développant les personnages à travers des détails subtils, le film doit avancer. Cette compression crée parfois une impression de précipitation, particulièrement pour les spectateurs non familiers avec l’œuvre originale.
L’endroit où ce film se termine était un peu insatisfaisant, mais cela sera certainement résolu quand je verrai le Chapitre 2. Cette observation souligne un problème inhérent à la division de l’histoire en deux parties : le premier chapitre fonctionne davantage comme une mise en place élaborée qu’une œuvre autonome satisfaisante.
Préservées mais diluées
Watchmen n’est pas qu’une histoire de super-héros. C’est une déconstruction méticuleuse du concept même de héros costumé, une exploration des implications morales du vigilantisme, une méditation sur le pouvoir et la responsabilité, et une critique acerbe de la politique de l’ère Reagan.
Le film préserve ces thématiques, mais leur traitement souffre inévitablement de la condensation. Les questions philosophiques posées par Dr. Manhattan sur la valeur de la vie humaine individuelle face à l’immensité de l’univers restent présentes mais ont moins de temps pour résonner. Le débat moral entre l’absolutisme de Rorschach et le pragmatisme d’Ozymandias est évoqué mais pas aussi profondément exploré.
La critique politique de l’œuvre – la paranoia de la guerre froide, la corruption du pouvoir, la désillusion face aux institutions – demeure mais perd de sa morsure. Moore écrivait dans un contexte spécifique, commentant l’Amérique des années 80 à travers le prisme d’une histoire alternative. Cette dimension de commentaire social est plus difficile à transmettre en animation, particulièrement pour un public de 2024 qui vit dans un contexte politique radicalement différent.
Comparaison avec les adaptations précédentes
Il est impossible de discuter Watchmen Chapter I sans le comparer aux autres adaptations, particulièrement le film de Zack Snyder de 2009.
J’ai trouvé que Zack était capable de donner de meilleures émotions et messages. Cette observation pointe vers une différence fondamentale d’approche. Snyder, tout en restant visuellement fidèle à la bande dessinée, insufflait sa propre vision, sa propre énergie cinématographique. Son Watchmen était définitivement un film, utilisant la musique, le montage, la performance des acteurs pour créer une expérience cinématographique distincte.
Vietti, en revanche, semble presque intimidé par le matériau source. Son approche est celle d’un conservateur de musée plutôt que d’un artiste réinterprétant l’œuvre. C’est respectable mais finalement moins captivant.
La série HBO de Lindelof prenait la direction opposée, choisissant de créer une suite qui explorait les conséquences de l’histoire originale tout en introduisant de nouveaux personnages et de nouvelles perspectives. C’était audacieux, parfois controversé, mais indéniablement créatif.
Watchmen Chapter I se situe entre ces deux approches sans vraiment trouver sa propre identité. C’est plus fidèle que Snyder, moins inventif que Lindelof.
Ce qui fonctionne
Malgré mes réserves, Watchmen Chapter I possède des qualités indéniables :
La fidélité visuelle : Pour les fans de la graphic novel, voir les panels iconiques prendre vie est indéniablement gratifiant. La composition visuelle est souvent magnifique.
Le casting vocal : Les performances sont uniformément solides, apportant vie et nuance à des personnages déjà profondément développés sur la page.
L’ambition : Dans un paysage de contenus super-héroïques de plus en plus standardisés, Watchmen Chapter I ose être sombre, complexe, moralement ambigu. C’est un film pour adultes qui traite son public avec respect.
La préservation du texte : Pour ceux qui veulent une adaptation aussi proche que possible de l’original, ce film livre exactement ce qu’il promet.
Watchmen: Chapter 1 est un délice pour les fans, et une excellente suite pour ceux qui ont apprécié les comics et veulent en voir plus.
Où le film trébuche
Le film est fidèle jusqu’à la faute – essentiellement une version abrégée et superflue de la graphic novel célébrée. Cette critique résume le problème central du film : à quoi sert une adaptation si elle ne fait qu’abréger l’original sans apporter une perspective nouvelle ?
L’absence de vision personnelle : Vietti et Straczynski ont créé un produit compétent mais impersonnel. On ne sent jamais leur voix, leur interprétation unique de l’œuvre.
Les limitations de l’animation : La rigidité occasionnelle de l’animation nuit aux moments émotionnels subtils qui sont cruciaux pour l’histoire.
La compression narrative : Condenser six chapitres denses en 83 minutes nécessite des sacrifices. Certaines nuances, certains développements secondaires sont perdus.
Le manque d’autonomie : En tant que « Chapitre I », le film fonctionne comme une longue mise en place pour le Chapitre II plutôt que comme une œuvre satisfaisante en soi.
La question de la pertinence : Pour les non-initiés, la graphic novel reste accessible et probablement plus satisfaisante. Pour les fans, le film n’ajoute rien d’essentiel. Qui est exactement le public de cette adaptation ?
Un accueil critique positif mais nuancé
Sur Rotten Tomatoes, le film a un taux d’approbation de 92% basé sur 12 critiques, avec une note moyenne de 7,4/10. Ce score impressionnant suggère que les critiques professionnels ont largement apprécié le film, probablement pour sa fidélité et son ambition.
Le film obtient une note de 7.1 sur IMDb, reflétant une réception publique également positive mais peut-être moins enthousiaste. Ce score suggère un film solide qui plaît à son public cible sans nécessairement transcender ses limitations.
J’ai aimé le style d’animation, le doublage était vraiment bon et c’est simplement un visionnage simple et agréable pour tous les fans. Cette appréciation capture bien le consensus : c’est un produit de qualité qui satisfait son public sans révolutionner le genre.
Un hommage respectueux mais timoré
Watchmen Chapter I est un film compétent, techniquement solide, fidèle à son matériau source et porté par d’excellentes performances vocales. C’est aussi un film qui manque singulièrement d’audace et de vision personnelle.
La question centrale demeure : pourquoi cette adaptation existe-t-elle ? Si c’est pour introduire Watchmen à de nouveaux publics, la graphic novel reste plus accessible et plus satisfaisante. Si c’est pour offrir aux fans une nouvelle perspective sur l’œuvre, le film échoue à apporter cette perspective. Il se contente de répéter ce qui a déjà été dit, de montrer ce qui a déjà été vu.
Watchmen: Chapter I (2024) était un excellent film d’animation et il m’a donné hâte de voir le Chapitre 2 sortir. Pour ceux qui acceptent le film pour ce qu’il est – une adaptation animée fidèle et respectueuse – l’expérience sera probablement satisfaisante.
Mais on ne peut s’empêcher de penser à ce que pourrait être une adaptation véritablement audacieuse, qui utiliserait les possibilités uniques de l’animation pour offrir une nouvelle vision de ces personnages et de ces thèmes. Au lieu de cela, nous avons un exercice de fidélité académique qui, aussi bien exécuté soit-il, reste une expérience secondaire par rapport à l’œuvre originale.
Verdict : Une adaptation techniquement solide et visuellement fidèle qui plaira aux fans de la graphic novel mais qui peine à justifier sa propre existence. Watchmen Chapter I est prisonnier de sa révérence pour le matériau source, offrant une copie compétente mais finalement superflue d’un chef-d’œuvre qui n’avait pas vraiment besoin d’être copié. Les performances vocales sont excellentes, l’animation est généralement réussie, et l’ambition de créer un film d’animation pour adultes mérite d’être saluée. Mais l’absence de vision personnelle et de réinterprétation créative fait de ce film un exercice académique plutôt qu’une œuvre d’art à part entière. À recommander aux fans inconditionnels qui veulent voir leurs panels préférés prendre vie, moins aux autres.
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Je suis Guillaume, critique de films passionné dont les analyses incisives et captivantes enrichissent le monde du cinéma. Avec un flair pour déceler les subtilités artistiques, je partage mes réflexions à travers des critiques percutantes et réfléchies. Mon expertise, alliée à une plume élégante, fait de moi une voix influente dans l'univers cinématographique.
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