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Rares sont les documentaires qui parviennent à renouer avec l’émotion d’un grand film tout en ouvrant de nouvelles fenêtres historiques. « La liste de Schindler — la véritable histoire », diffusé en France par RMC Découverte en mai 2025, revendique précisément cet équilibre : il reprend le mythe populaire forgé par Steven Spielberg en 1993 pour en extraire, avec un ton souvent plus froid et enquêtif, les couches factuelles, les zones d’ombre et les voix oubliées. Le propos du film est double : rendre compte du sauvetage — comment et combien — et interroger la transformation morale d’un homme présenté alternativement comme opportuniste, calculateur, puis sauveur.
Du mythe à l’archive
Le documentaire déroule une chronologie serrée : de l’ascension commerciale d’Oskar Schindler à Cracovie au tournant des années 1940, jusqu’à la liquidation des ghettos puis à la création de la fameuse « liste » qui permit de préserver plus d’un millier de vies. À travers archives, photos, extraits d’entretiens historiques et témoignages contemporains, le film retrace les étapes pratiques (emplois, pots-de-vin, transferts d’usines) et les détours moraux (complicité, lâcheté, courage), en confrontant la légende écranisée aux preuves et aux souvenirs. Le ton n’est ni apologétique ni démonstratif : il laisse parler les survivants, fait parler les documents et tente parfois de corriger des simplifications véhiculées par la fiction.
Le réalisateur en filigrane — qui est Vincent Néquache ?
La version diffusée sur les chaînes françaises en 2025 est signée Vincent Néquache, documentariste qui assume une posture de passeur : interroger les archives, relancer les témoins et resituer le chef-d’œuvre de Spielberg dans son contexte historique et cinématographique. Pour nourrir son enquête, Néquache s’appuie largement sur des corpus déjà constitués — parmi lesquels le documentaire britannique de Jon Blair, souvent cité comme source de première main — tout en ajoutant des entretiens nouveaux et des éclairages de spécialistes pour actualiser la lecture du dossier. Le film de Néquache a donc la modestie d’une enquête qui s’inscrit dans une lignée documentaire et la force d’un montage qui met en miroir fiction et archives.
Les « acteurs » du réel — survivants, témoins et voix qui rendent le film vivant
Un documentaire sur Schindler ne repose pas sur des comédiens mais sur la vérité des visages qui parlent. La force du film tient d’abord à l’accès — rare et précieux — à des survivants encore vivants et à leurs témoignages directs. La diffusion française mettait en avant la parole de Niusia Horowitz, identifiée comme l’une des dernières survivantes de la « liste », dont le témoignage nourrit la dimension humaine du récit. À cela s’ajoutent des archives d’interviews anciennes : la présence d’Emilie Schindler, d’anciens « Schindlerjuden » et d’anciens employés de Płaszów permet au film de ménager des contrepoints — gratitude, ambivalence, rancoeur — qui complexifient la figure héroïque. Le documentaire réactive aussi des voix plus problématiques (témoignages de proches d’officiers SS, documents judiciaires) pour rappeler la pluralité des regards sur ces années.
Archives, remaster et travail d’atelier
La méthode est fidèle à la grande tradition du documentaire historique : un tissage d’images d’archives (films d’époque, photographies, documents administratifs) et d’interviews face caméra, ponctué de séquences de cartographie et de reconstitutions légères quand les images font défaut. Le film de Néquache ne réinvente pas la grammaire visuelle, mais il a l’intelligence de réutiliser, clarifier et remasteriser des séquences anciennes — notamment l’important matériau produit par Jon Blair en 1983, documentaire qui a servi de ressource historique et qui, remasterisé et réédité à plusieurs reprises, constitue une base documentaire précieuse. Le montage privilégie les ruptures temporelles courtes et les insertions de documents judiciaires, ce qui donne au récit un tempo d’enquête plutôt que de confession.
Remise en contexte plutôt que révolution
La question est centrale : apporte-t-on quelque chose à l’histoire après Spielberg et après des décennies de travaux historiques ? La réponse du film est nuancée. Le documentaire de Néquache n’invente pas de « scoop » spectaculaire ; il ne retrouve pas de titre de propriété inexploité ni de liste perdue. Là où il est utile, c’est dans la mise en perspective : recadrer certains épisodes, rappeler le rôle déterminant d’intervenants secondaires (comptables, avocats, négociants), et souligner que la constitution de la « liste » est un processus collectif et administratif, moins cinématographique qu’on ne l’imagine. En ce sens, la nouveauté est pédagogique et méthodologique : le film montre comment un geste — dresser une liste — s’insère dans des négociations, des compromises et des pressions bureaucratiques.
Le parti pris narratif : empathie sans mythe, rigueur sans froideur
Néquache opte pour un registre mêlant empathie — pour les survivants et leurs descendants — et distance critique envers la légende. Le film n’attaque pas Spielberg frontalement mais interroge ses choix esthétiques et narratifs : que gagne-t-on en poésie cinématographique et que perd-on en complexité historique ? Cette mise en miroir fonctionne parce que le documentaire s’appuie sur des sources solides et évite le sensationnalisme. Il se permet même des moments d’ironie douce quand il met côte à côte une séquence spectaculaire du film de 1993 et son pendant documentaire sec. Le résultat : une expérience intellectuelle qui ne renonce pas à l’émotion.
L’épreuve du visage et de la parole
Au cinéma, les acteurs « jouent » ; dans ce documentaire, les témoins se dispensent de jeu mais offrent une présence parfois plus dramatique encore. Les plans serrés sur des visages marqués, les silences qui suivent une phrase, les hésitations — tout cela compose une dramaturgie du réel. Les interventions d’Emilie Schindler dans les archives clipent une ambiguïté : compagne active mais souvent mise à l’arrière-plan, elle pose la question des oublis mémoriels, thème que le documentaire reprend et développe. Les récits des survivants, leur manière de nommer les détails techniques (transferts, listes, pots-de-vin), donnent au film sa crédibilité première ; la mise en scène y reste sobre pour ne pas « instrumentaliser » la douleur.
L’héritage documentaire de Jon Blair et l’accueil du nouveau film
Il est utile de rappeler que le travail documentaire antérieur a été reconnu : le film de Jon Blair (1983), qui a servi de socle à bien des travaux ultérieurs, a remporté un BAFTA et a été largement salué pour la qualité de ses archives et de ses entretiens — une pièce d’archives devenue, au fil du temps, ressource historique et outil de travail pour les cinéastes et historiens. La version de Néquache, plus récente, n’a pas (au moment de sa diffusion) un palmarès festivalier à présenter : son ambition est d’abord télévisuelle et pédagogique, destinée à un large public plutôt qu’à la compétition. Son succès se mesure à sa capacité à ranimer le débat et à replacer certaines voix oubliées au centre du récit.
Ce que le film aurait pu mieux creuser
Si le documentaire convainc par son assemblage et sa rigueur, il laisse néanmoins des angles morts. La part psychologique — pourquoi Schindler a-t-il basculé d’un opportunisme assumé vers un intérêt salvateur pour ses ouvriers — reste en partie suggérée plutôt qu’analysée en profondeur. De même, l’étude des responsabilités institutionnelles (rôle des administrations locales, responsabilités des entreprises, place des intermédiaires) est traitée de façon assez synthétique ; des développements plus poussés, avec des historiens spécialisés, auraient permis de situer la « liste » dans un maillage plus large d’initiatives de sauvetage et de négociation. Ces réserves n’enlèvent rien à la valeur du film, mais elles indiquent les directions possibles pour des enquêtes futures.
Un documentaire utile et nécessaire, à recommander
En définitive, « La liste de Schindler — la véritable histoire » remplit une mission essentielle : rafraîchir la mémoire collective, donner la parole quand elle peut encore l’être et rappeler que la construction d’un acte de salut est rarement l’œuvre d’un seul. Le film n’est pas une “réécriture” scandaleuse de l’histoire, mais une réévaluation critique qui enrichit notre compréhension. Il est accessible au grand public, respectueux des témoins et assez serein dans sa méthode pour convaincre les non-spécialistes comme les lecteurs plus pointus. Pour qui veut compléter la lecture émotionnelle de Spielberg par une lecture factuelle et documentée, ce documentaire est un rendez-vous nécessaire.
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Je suis Guillaume, critique de films passionné dont les analyses incisives et captivantes enrichissent le monde du cinéma. Avec un flair pour déceler les subtilités artistiques, je partage mes réflexions à travers des critiques percutantes et réfléchies. Mon expertise, alliée à une plume élégante, fait de moi une voix influente dans l'univers cinématographique.
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