
Une ambition africaine face aux limites de la réalité
L’histoire du cinéma regorge de moments où une nation, une culture ou un continent se décident enfin à se raconter ses propres mythes. Atoman, film marocain-belge sorti en 2025, prétend être ce moment pour l’Afrique. C’est audacieux, courageux même, et c’est précisément ce qui rend son inévitable déception encore plus palpable. Présenté comme le premier long-métrage de super-héros africain et maghrébin, Atoman porte sur ses épaules le poids des espoirs d’une région entière cherchant sa place dans un genre cinématographique domé par Hollywood depuis des décennies. Malheureusement, entre l’intention louable et l’exécution chaotique, le film s’effondre sous son propre poids.
Une Atlantide au Sahara Qui Fait Naufrage
Hakim, interprété par le rappeur Lartiste, est un hacker mondialement recherché pour avoir commis un crime noble : voler les données d’un laboratoire pharmaceutique afin que les malades atteints de COVID-19 puissent accéder à des traitements abordables. Arrêté par Interpol, il échappe à la prison en acceptant un marché faustien : travailler pour l’unité de cybercriminalité de la police marocaine en tant que white-hat. Mais sa vie bascule lorsque des archéologues découvrent la cité perdue d’Atlantis dans les montagnes de l’Atlas. Un artefact mystique appelé l’Astrolabe, capable de déclencher une catastrophe mondiale, est volé. Hakim découvre alors qu’il est le dernier descendant des Atlantes, héritier de pouvoirs extraordinaires puisés dans son héritage génétique amazigh. Il ne lui reste plus qu’une mission : sauver le monde en devenant Atoman, l’homme du vent. C’est à la fois ingénieux et délibérément absurde, une fusion étrange entre mythologie amazighe, cyber-thriller et science-fiction épique.
Le problème, c’est que le film semble conscient de son propre non-sens. À plusieurs reprises, des personnages répètent des phrases comme « J’ai rien compris » qui résument parfaitement l’expérience du spectateur. L’intrigue mélange hacking, magie ancienne, bureaucratie policière et menaces existentielles sans jamais parvenir à les assembler en quelque chose de cohérent. Le scénario, écrit par Omar Mrani et Anouar Moatassim, manque cruellement de logique interne. Pourquoi les autorités marocaines ne réagissent-elles pas plus rapidement ? Comment un hacker devient-il instantanément un combattant surhumain ? Quels sont les limites réelles du pouvoir de l’Astrolabe ? Le film n’offre des réponses satisfaisantes à aucune de ces questions.
Le Réalisateur Audacieux Qui a Mâché Plus Qu’Il Ne Pouvait Avaler
Anouar Moatassim est un cinéaste belgo-marocain fascinant, un homme qui a parcouru des routes peu conventionnelles pour arriver au cinéma. Avant de devenir réalisateur, il a d’abord été rappeur engagé, puis photographe de mode, deux univers qui témoignent d’une certaine sensibilité artistique et d’une compréhension des images. Ce parcours atypique suggère un créateur curieux et multidisciplinaire.
Ses débuts en réalisation remontent à 2012 avec À l’aube un 19 février, un premier long-métrage réalisé avec un budget dérisoire de seulement 10 000 euros. L’ambition du jeune réalisateur était déjà manifeste, mais aussi sa capacité à faire du cinéma en dehors des circuits traditionnels. Moatassim a ensuite travaillé sur des productions télévisées marocaines à succès comme Les Mille et une Nuits et Tarek Bnou Ziad, des séries historiques et fantastiques qui l’ont établi comme un conteur doué avec une prédilection pour le genre merveilleux et l’histoire.
Quand Moatassim a décidé de réaliser Atoman, son ambition était à la hauteur de son audace. Il a fait un pari risqué : créer le premier film de super-héros africain dans un contexte où les budgets marocains ne rivalisent pas avec Hollywood. Il fallait innover, travailler avec des lieux authentiques, recruter un casting international et raconter une histoire profondément marocaine. Théoriquement, c’était faisable. En pratique, Moatassim a tendu trop loin la corde.
Le réalisateur a opté pour une cinématographie frenétique, des plans-séquences ambitieux et une esthétique urbaine contemporaine. On sent son amour pour le cinéma fantastique, un héritage de son attachement personnel à l’univers Marvel. Mais dirigeant un long-métrage de super-héros est un exercice technique complètement différent de la production de séries télévisées. Les enjeux visuels, narrative et budgétaires sont exponentiellement plus complexes. Et malheureusement, Moatassim s’est parfois perdu dans cette complexité.
Promesses Non Tenues et Surjeu Évident
Lartiste, de son vrai nom Youssef Akdim, est un succès du hip-hop franco-marocain. Né en 1985 à Imintanoute près de Marrakech, il a émigré en France à sept ans. Sa carrière musicale l’a établi comme l’une des figures les plus importantes du rap français, avec des hits incontournables comme Mafiosa, Chocolat et Missile. Au-delà de sa réussite musicale, Lartiste est également un humanitaire qui a travaillé comme éducateur spécialisé en musique, utilisant son art pour toucher les jeunes des cités. C’est donc un artiste multicouches : celui qui comprend les réalités des banlieues, qui porte un message social et qui possède une certaine sophistication urbaine.
Atoman représente sa première expérience cinématographique, et c’est ici qu’on observe un paradoxe fascinant. D’un côté, Lartiste offre une performance surprenante par son authenticité. Il n’a pas la sophistication d’un acteur de cinéma établi, et c’est justement ce qui fonctionne. Son interprétation du hacker Hakim est naturelle, humble et honnête. On sent que l’acteur habite vraiment son personnage plutôt que de le jouer. C’est une révélation en demi-teinte : maladroit en tant qu’acteur formé, mais sincère en tant que personne qui devient héros malgré lui. Ironiquement, c’est lui qui s’en sort le mieux, ce qui en dit long sur la qualité des autres performances.
Samy Naceri, acteur français réputé surtout pour la saga Taxi et sa collaboration avec Luc Besson depuis 1994, incarne le rôle antagoniste du banquier David Lockham. Naceri a une filmographie impressionnante, ayant remporté le Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes en 2006 (collectivement) pour le film Indigènes. Pourtant, dans Atoman, il frôle la parodie. Son personnage est caricatural, presque bidimensionnel. Naceri semble stagner dans le scénario faible, incapable ou peu disposé à trouver les nuances qui auraient pu faire de Lockham un antagoniste intéressant. La palme du naufrage revient à cet acteur talentueux qui livre une performance décevante.
Sarah Perles, présélectionnée pour le César du Meilleur espoir féminin en 2019, joue le rôle de Sanaa Benkirane. Ses talents habituellement lumineux sont entravés par un rôle qui manque de développement. Elle devrait être un pilier de l’histoire, mais le film la traite avec une négligence visible. Elle n’a que peu d’occasions de briller, et quand elle le peut, le scénario l’abandonne.
Doudou Masta, qui a travaillé dans le cinéma français et belge notamment dans Banlieue 13, joue le rôle du chef criminel Chinoui. Sa performance est criarde, sur-jouée, transformant ce qui aurait pu être un antagoniste intéressant en caricature ridicule. Son personnage de restaurateur japonais de façade est si maladroit dans sa conception qu’on peine à y croire.
Quand l’Amour des Lieux Surpasse la Technique
Le tournage d’Atoman s’est déroulé au Maroc, en France et dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, une entreprise logistique considérable pour une production africaine. Moatassim et son équipe ont filmé dans des lieux iconiques : les montagnes de l’Atlas, la grotte de Friouato, la Kasbah de Tizourgane, et même la centrale solaire Noor, symbole marocain d’innovation écologique et d’énergie renouvelable. Les paysages marocains, photographiés par Lucas Coassin et Grégory Turbellier, offrent une identité visuelle authentique au film. Ici, le Maroc n’est pas un simple fond ; c’est un véritable personnage dans le récit. Les montagnes majestueuses, les vallées verdoyantes et les installations modernes de Noor transforment des scènes ordinaires en tableaux pittoresques.
C’est magnifique, et c’est aussi problématique. La beauté des lieux distrait du faible scénario. On se demande parfois si le film privilégie la cinématographie panoramique au détriment de la narration cohérente. Les choix de production reflètent une priorité claire : faire un hommage visuel au Maroc plutôt que de raconter une histoire cinématographiquement solide.
La post-production a bénéficié d’une certaine expertise. Le mixage sonore a été confié aux studios de Luc Besson, ce qui confère une certaine légitimité technique. Les effets spéciaux ont été gérés par What The Frame, un studio belge spécialisé en VFX. Pourtant, malgré ces collaborations réputées, les effets spéciaux restent limités et parfois maladroits. Avec un budget estimé à moins de deux millions d’euros, on ne peut attendre les producteurs hollywoodiens. Mais cela signifie aussi que le film ne peut pas competer sur le même terrain que Marvel ou DC. Le montage de Julien Foure révèle des coutures évidentes ; on sent que certains plans manquent, que la continuité narrative a été sacrifiée à la durée finale (86 minutes, ce qui est étonnamment court pour un film de super-héros).
La bande-sonore composée par Alexandre Chaigniau et Julien Jaouen, enrichie par des contributions du rappeur Soprano, offre une touche urbaine contemporaine. C’est là qu’on sent un réel engagement dans la création d’une atmosphère cohérente. Mais même cette bande-sonore, bonne par ailleurs, ne sauve pas le film car elle ne peut pas compenser les défaillances narratives et structurelles.
Mythologie africaine
Atoman aurait pu être véritablement innovant. L’idée d’ancrer un super-héros dans une mythologie africaine spécifique, l’Amazighe, et de le placer dans un contexte moderne de cyber-criminalité est conceptuellement originale. Le film aspire à être ce que Black Panther a été pour la représentation africaine à Hollywood, mais avec une authenticité marocaine. Sur le papier, c’est séduisant. En réalité, le film emprunte lourdement à des univers cinématographiques établis sans jamais trouver sa propre voix.
Les comparaisons inévitables à Spider-Man (le jeune homme ordinaire qui découvre des pouvoirs, l’obligation morale d’agir) et à Matrix (l’esthétique, la cyber-conscience du personnage) sont flagrantes. Mais contrairement à ces films qui sublimaient leurs influences en créant quelque chose de nouveau, Atoman les recycle maladroitement. Le film ne devient ni assez intelligent que Matrix ni assez émotionnellement connecté que Spider-Man.
Ce qui aurait pu être véritablement innovant, c’est l’intégration profonde de la mythologie amazighe et des valeurs marocaines dans la structure narrative du super-héros. Mais le film traite cet élément avec une superficialité regrettable. La « force du vent » qui donne ses pouvoirs à Atoman est à peine explorée. On n’apprend jamais vraiment ce qu’elle signifie, comment elle fonctionne ou pourquoi elle existe. C’est comme si le réalisateur avait versé de la culture amazighe comme assaisonnement sur un plat qui aurait déjà une recette établie, sans changer la substance même du repas.
L’Astrolabe, l’artefact mystique volé, aurait pu être une opportunité de plonger dans la cosmologie amazighe. Au lieu de cela, il fonctionne comme n’importe quel MacGuffin hollywoodien, une motivation externe pour l’intrigue plutôt qu’une exploration significative de ce qu’il représente culturellement.
La Question des Performances Actrices et de la Direction
Moatassim aurait dû mieux diriger ses acteurs. On sent un manque de cohérence dans les directions actrices. Certains acteurs jouent le film comme une parodie, d’autres avec une gravité déplacée, d’autres encore avec une apparent détresse d’être dans ce projet. La seule exception notable est Lartiste, dont la naïveté et la sincérité fonctionnent par défaut plutôt que par design.
Une réalisatrice ou un réalisateur établis dans le genre super-héros aurait probablement instruit son casting sur le ton à adopter : entre la gravité du menace existentielle et la légèreté du merveilleux amazigh. Moatassim ne semble pas avoir trouvé ce ton, et ses acteurs erraient dans l’obscurité narrative.
Récompenses et Reconnaissance Critique
Malgré son ambition, Atoman n’a pas remporté de récompenses majeures. Le film a eu une première mondiale au Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF) en avril 2025, où il a été accueilli avec une certaine curiosité culturelle mais pas d’acclamations critiques. Sur IMDb, il obtient une note de 1,8/5 sur la base de centaines d’avis. Sur AlloCiné, la note est encore plus faible (0,8/5), reflétant un échec critique quasi-unanime auprès du public français. Sur SensCritique, les critiques oscillent entre le désabusement et la pitié, avec peu de voix pour défendre le film de manière convaincante.
Il existe cependant une veine de critiques qui contextualisent le film dans la réalité économique et culturelle de la production africaine. Certains spectateurs et critiques notent qu’on ne peut pas juger Atoman avec les mêmes standards que les productions hollywoodiennes à 150 millions de dollars. Ils soulignent l’importance historique du film en tant qu’affirmation du cinéma africain dans le genre superhéroïque. C’est un argument valide, mais malheureusement, la qualité objective du film reste faible. On peut apprécier l’intention et le défi technique sans pour autant prétendre que le résultat final est bon.
L’Ambition Hors Proportion Avec L’Exécution
Atoman arrive avec des ambitions énormes : introduire le premier super-héros africain, créer une franchise marocaine, ouvrir les portes à une nouvelle génération de cinéastes africains. Ces ambitions sont louables, ces rêves sont justes, mais le film lui-même ne les réalise pas. C’est un cas d’école de projet cinématographique où l’ambition surpasse exponentiellement l’exécution.
Le film manque une certaine magie qui caractérise les grands films de super-héros, même les moins chers. Même avec des budgets limités, les meilleurs cinéastes trouvent des astuces créatives, des angles narratifs, une direction actrices cohérente qui crée une cohérence émotionnelle. Atoman n’a pas cette cohérence. C’est un film fragmenté, confus, où les pièces ne s’emboîtent jamais vraiment.
Cela dit, Moatassim annonce déjà son prochain projet : Haya, une super-héroïne africaine, qui s’inscrit dans une vision plus large d’un univers cinématographique africain. Cette ambition est remarquable. Peut-être que l’échec relatif d’Atoman sera une leçon productive, un tremplin vers quelque chose de plus solide. Car il y a une demande, une nécessité culturelle pour que l’Afrique se raconte ses propres histoires épiques. Atoman a le cran de le tenter, même s’il ne le réussit pas.
Le vrai super-pouvoir du film, c’est peut-être son existence même : la preuve qu’il est possible pour une nation africaine de rêver grand au cinéma. Malheureusement, ce pouvoir ne se traduit pas en écran en une excellente expérience cinématographique. Atoman reste une promesse non tenue, une ambition noble sabotée par des défaillances techniques, narratives et artistiques. Peut-être que sa plus grande valeur réside dans ce qu’il inspire chez les futurs cinéastes africains, plutôt que dans le film lui-même.
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