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Sorti en 2012, Battleship est un de ces films qui n’ont laissé personne indifférent. Inspiré librement du célèbre jeu de société de Hasbro, ce long-métrage ambitieux tente de combiner l’univers militaire, l’action hollywoodienne musclée et la science-fiction à grand spectacle. Produit par Universal Pictures pour un budget titanesque de plus de 200 millions de dollars, il s’inscrit dans la lignée des blockbusters conçus pour briller au box-office mondial. Le film se veut spectaculaire, patriotique, bruyant, et résolument tourné vers le divertissement pur. Malgré un accueil critique très mitigé, il mérite aujourd’hui d’être revisité, ne serait-ce que pour son approche décomplexée du cinéma d’action et son ambition visuelle.
Un affrontement titanesque sur les flots
L’histoire de Battleship commence avec la découverte, par la NASA, d’une planète semblable à la Terre, baptisée « Planète G », vers laquelle est envoyé un signal puissant dans l’espoir d’établir un contact. Ce que l’humanité ignore, c’est que ce message interstellaire va recevoir une réponse… sous forme d’une invasion extraterrestre. Quelques années plus tard, lors de manœuvres navales multinationales dans le Pacifique, un groupe de vaisseaux de guerre se retrouve soudainement coupé du reste du monde par un dôme d’énergie généré par des vaisseaux inconnus surgis des profondeurs.
Au centre de l’histoire, le lieutenant Alex Hopper, un officier rebelle de l’US Navy, se retrouve propulsé malgré lui au rang de leader face à la menace. Impulsif, désobéissant et en conflit avec la hiérarchie militaire, il va devoir faire preuve d’un sang-froid inattendu pour sauver ses hommes, l’humanité, et lui-même. Aidé par quelques compagnons de fortune, notamment des vétérans et des soldats d’autres nationalités, Alex va affronter un ennemi technologiquement supérieur dans un affrontement spectaculaire sur les flots. Tandis que les aliens cherchent à prendre le contrôle d’un centre de communication pour appeler des renforts, la résistance humaine s’organise avec les moyens du bord… y compris un cuirassé de la Seconde Guerre mondiale remis en service pour l’occasion.
Peter Berg à la barre : un réalisateur adepte du grand spectacle
Le nom de Peter Berg est indissociable d’un certain cinéma américain à la fois viril, énergique et enraciné dans les valeurs patriotiques. Avant Battleship, Berg s’était fait remarquer par des films comme Friday Night Lights (2004), un drame sportif acclamé par la critique, puis Hancock (2008), une variation originale sur le mythe du super-héros avec Will Smith. Cinéaste formé à l’école des séries télé (il a notamment participé à la réalisation et la production de la série Friday Night Lights), Berg sait manier la caméra avec efficacité et insuffle à ses films une nervosité visuelle caractéristique.
Avec Battleship, il se lance dans un projet d’envergure mondiale, avec une production tentaculaire et des effets spéciaux numériques omniprésents. Il s’attaque ici à un cinéma à grand spectacle calibré pour le marché international, dans la droite lignée des films produits par Michael Bay (Transformers) ou Roland Emmerich (Independence Day). Berg ne cache pas ses influences et assume pleinement un style décomplexé, bruyant et chargé en patriotisme, tout en essayant d’humaniser ses personnages à travers des dilemmes personnels et des arcs de rédemption.
Mais ce qui distingue Battleship, c’est le mélange parfois inattendu entre réalisme militaire et science-fiction pure. Berg a en effet cherché à ancrer son film dans une certaine authenticité en collaborant avec la Navy américaine et en incluant de véritables vétérans à l’écran. Cette volonté de réalisme cohabite avec une imagerie délirante de vaisseaux extraterrestres, de champs de force et de batailles navales revisitées à la sauce futuriste.
Taylor Kitsch et Rihanna en mission : les visages de Battleship
Le rôle principal d’Alex Hopper est interprété par Taylor Kitsch, un acteur alors en pleine ascension grâce à son rôle culte de Tim Riggins dans la série Friday Night Lights et son interprétation de John Carter dans le film éponyme sorti la même année. Dans Battleship, Kitsch incarne un personnage typique du cinéma d’action : un héros malgré lui, désinvolte, bagarreur, mais profondément loyal et courageux. Son jeu oscille entre l’ironie et l’intensité, et s’inscrit bien dans le ton général du film.
À ses côtés, on retrouve une distribution hétéroclite qui contribue à donner une tonalité singulière au film. Rihanna, dans son premier grand rôle au cinéma, campe l’officier Cora Raikes. Connue mondialement pour sa carrière musicale, l’artiste barbadienne surprend ici par son énergie brute et son aisance dans les scènes d’action. Si sa performance a divisé la critique, elle apporte néanmoins une touche de fraîcheur à un casting par ailleurs très masculin.
Le vétéran Liam Neeson incarne l’amiral Shane, figure d’autorité rigide et protectrice, et beau-père du personnage principal. Fidèle à son registre habituel, Neeson offre un jeu sobre et charismatique, même si son rôle reste relativement secondaire. Enfin, Alexander Skarsgård interprète Stone Hopper, le frère d’Alex, un officier modèle et rassurant, dont le destin tragique sert de catalyseur au parcours du héros.
À noter également la présence de Gregory D. Gadson, véritable colonel de l’armée américaine et vétéran amputé, dans le rôle de Mick Canales. Son implication dans le film renforce le lien entre fiction et réalité, et donne lieu à certaines des scènes les plus émouvantes du récit.
Un pari risqué sur l’océan des blockbusters
En 2012, Universal Pictures lançait un pari pour le moins étonnant : adapter le célèbre jeu de société Battleship — connu en français sous le nom Touché-Coulé — en superproduction hollywoodienne. Cette idée, déjà en soi saugrenue, se situait dans le sillage du succès de la saga Transformers, qui avait transformé des jouets Hasbro en machines à cash. Le studio voit dans Battleship une franchise potentielle, un terrain fertile pour un cinéma d’action militaire et spectaculaire, capable de séduire un public international avide de grand spectacle.
Derrière la caméra, Peter Berg, un cinéaste connu pour ses films musclés (Hancock, Le Royaume, Friday Night Lights), prend les commandes. Avec un budget titanesque de plus de 209 millions de dollars, Battleship se veut un blockbuster global, combinant scènes d’action explosives, science-fiction extraterrestre et patriotisme assumé. Pourtant, le film s’échoue partiellement à sa sortie, victime de critiques virulentes et d’un public américain peu réceptif, bien qu’il réussisse à limiter la casse grâce à l’exportation.
Alors que les années ont passé, il est temps de réévaluer ce mastodonte cinématographique : que vaut réellement Battleship aujourd’hui ? Est-il l’échec que beaucoup ont décrié ou une œuvre sous-estimée aux ambitions louables mais maladroites ?
Un scénario entre haute mer et science-fiction
Le pitch de Battleship repose sur une idée simple : durant des manœuvres militaires dans le Pacifique, plusieurs navires de guerre sont confrontés à une invasion extraterrestre déclenchée par un signal envoyé vers une exoplanète potentiellement habitable. Sous un dôme d’énergie isolant leur zone de combat, les marins doivent affronter des vaisseaux venus d’un autre monde, dotés de technologies avancées.
Le personnage central, Alex Hopper, incarné par Taylor Kitsch, est un lieutenant insubordonné et impulsif, peu taillé pour le commandement. Il se retrouve pourtant à devoir diriger un destroyer américain après la mort de son frère, capitaine, au début de l’offensive alien. Autour de lui gravitent des figures militaires typiques : l’amiral Shane, joué par Liam Neeson, autoritaire et respecté ; la spécialiste en armement Cora Raikes, incarnée par Rihanna ; et des vétérans de guerre qui joueront un rôle crucial dans le dernier acte.
Le scénario, écrit par Jon et Erich Hoeber, ne brille ni par sa subtilité ni par sa structure narrative. Il suit une courbe classique de rédemption du héros, de découverte de l’ennemi, de lutte désespérée et de victoire finale arrachée par le courage, l’unité et l’ingéniosité humaine. Si l’inspiration venue du jeu de société se traduit vaguement par une scène où les marins tentent de localiser les vaisseaux ennemis par coordonnées, cette référence reste un clin d’œil ludique sans influence majeure sur la narration.
Un tournage à la hauteur des ambitions
Le tournage de Battleship s’est déroulé en grande partie à Hawaï, notamment sur l’île d’Oahu, autour de Pearl Harbor, afin de donner un ancrage réaliste à l’action maritime. Peter Berg souhaitait une immersion crédible dans l’univers militaire, et pour cela, il a collaboré étroitement avec l’US Navy. Les navires utilisés dans le film, comme le destroyer USS John Paul Jones, sont réels, tout comme certains marins présents à l’écran. Plus encore, certaines scènes ont été tournées à bord du cuirassé USS Missouri, transformé pour l’occasion en bastion ultime contre l’invasion extraterrestre.
Berg a aussi voulu inclure de véritables vétérans de guerre, blessés ou amputés, dans les rôles secondaires. Parmi eux, Gregory D. Gadson, ancien colonel amputé des deux jambes après une explosion en Irak, incarne le soldat Mick Canales. Sa performance apporte une touche d’authenticité et d’humanité dans un film par ailleurs très spectaculaire. Cette volonté d’ancrer le film dans une réalité tangible, tout en y intégrant des éléments de science-fiction, représente un équilibre que Berg tente de maintenir tout au long du récit.
Les effets spéciaux, produits par ILM (Industrial Light & Magic), jouent un rôle central. Les vaisseaux aliens sont conçus avec un haut degré de détail et de complexité, inspirés des créatures marines autant que des machines futuristes. Le design des armes et des technologies adverses, avec leurs projectiles explosifs et leur bouclier magnétique, contraste avec l’armement conventionnel de la marine humaine, renforçant la tension dramatique.
Un film à la fois daté et audacieux
Ce qui frappe dans Battleship, c’est son mélange des genres : il s’agit à la fois d’un film de guerre, d’un film catastrophe, d’un récit de science-fiction, et d’un drame personnel. Mais cette hybridation ne fonctionne pas toujours. L’histoire se perd parfois entre des scènes d’action tonitruantes et des moments de comédie involontaire. Le patriotisme affiché peut sembler excessif, voire naïf, dans certaines séquences où les héros sauvent le monde avec l’aide de vétérans réactivant un navire-musée.
Cependant, il faut reconnaître au film une certaine audace dans sa construction. Il ne s’excuse jamais d’être ce qu’il est : un blockbuster bruyant, frontal, assumé. Dans une industrie où les films cherchent parfois à tout justifier ou à se rendre crédibles à outrance, Battleship opte pour l’efficacité visuelle et émotionnelle. Il utilise la bande-son de Steve Jablonsky, compositeur attitré de la franchise Transformers, pour renforcer la dimension épique, avec des musiques percutantes qui accompagnent chaque montée dramatique.
Le montage, rapide et parfois désorientant, trahit aussi la volonté de créer un film qui bouge, explose, se heurte et jaillit sans interruption. Cela dessert parfois la clarté de l’action, mais maintient une tension permanente qui, dans une salle obscure, peut s’avérer redoutablement efficace.
Des acteurs au service de l’action
Taylor Kitsch, dans le rôle principal, livre une prestation honnête sans être mémorable. Après son passage dans John Carter la même année, sa carrière hollywoodienne semblait promise à un bel avenir, mais Battleship n’a pas eu l’effet escompté. Son personnage, archétype du héros réticent, ne dispose pas d’une palette émotionnelle très riche, mais Kitsch parvient à rendre son évolution crédible.
Rihanna, pour sa première apparition sur grand écran, surprend. Elle incarne une technicienne d’armement combative, avec une présence qui dépasse la simple figure marketing. Bien qu’elle ne révolutionne pas le jeu d’acteur, elle se montre convaincante dans les scènes de combat, avec une énergie brute et une attitude déterminée.
Liam Neeson, comme toujours, dégage une autorité naturelle. Son rôle, bien que secondaire, sert à établir un cadre hiérarchique et dramatique solide. Quant à Brooklyn Decker, dans le rôle de la petite amie du héros, elle hérite d’un personnage peu développé, principalement utilisé comme ressort émotionnel et comme relais narratif pour l’histoire secondaire terrestre.
Enfin, la prestation de Gregory D. Gadson apporte une authenticité rare. Son implication personnelle, liée à son propre passé militaire, donne au film un supplément d’âme inattendu. Il ne s’agit pas ici d’un effet marketing, mais d’un vrai geste de reconnaissance envers les anciens combattants, intégrés dans une fiction qui leur rend hommage tout en les représentant comme des acteurs de leur propre destin.
Innovation ou recyclage ?
En termes d’innovation, Battleship ne révolutionne ni le genre du film d’action ni celui de la science-fiction. Il emprunte abondamment aux Transformers, Independence Day, et même à Pearl Harbor dans sa représentation du monde militaire. L’idée d’adapter un jeu de société est certes originale, mais dans les faits, cette filiation se limite à quelques éléments anecdotiques.
Cependant, son principal apport réside dans sa tentative de faire cohabiter une esthétique de film de guerre réaliste avec une menace extraterrestre. En plaçant des humains ordinaires face à une force technologiquement supérieure, le film rejoint les récits de confrontation asymétrique chers au cinéma de science-fiction, tout en y ajoutant une dimension humaine par l’inclusion de vrais vétérans et de figures marginales du monde militaire.
Le film explore aussi, de manière secondaire, les questions d’orgueil militaire, de coopération internationale et d’interopérabilité, en plaçant des forces navales de plusieurs pays dans une même situation critique. Même si cela n’est pas creusé en profondeur, cela donne une couleur particulière à l’histoire, plus globale, plus ouverte.
Une réussite mitigée
À sa sortie, Battleship est largement critiqué par la presse anglo-saxonne. Rotten Tomatoes affiche un score critique de 34 %, indiquant une réception majoritairement négative. Les critiques dénoncent un film creux, trop bruyant, au scénario simpliste, et accusent le studio d’avoir privilégié les effets spéciaux au détriment du fond.
Le public international, en revanche, est plus réceptif. Si le film ne couvre pas son budget sur le sol américain, il récolte plus de 303 millions de dollars dans le monde, limitant les pertes d’Universal. En Asie, notamment, le film rencontre un certain succès, grâce à ses visuels spectaculaires et à son positionnement martial.
Du côté des récompenses, Battleship ne brille pas. Il est nommé aux Razzie Awards dans plusieurs catégories, dont pire acteur secondaire pour Liam Neeson et pire actrice pour Rihanna. Aucune récompense prestigieuse ne lui est décernée. Cependant, il reçoit quelques prix techniques dans des festivals de cinéma d’action ou de science-fiction pour ses effets visuels.
Un naufrage spectaculaire ou un plaisir coupable ?
Battleship appartient à cette catégorie de films qui ont été conçus comme des produits de divertissement total. Si l’on accepte ses limites — un scénario mince, un ton emphatique, une esthétique agressive —, il peut s’avérer être un spectacle étonnamment plaisant. Il ne cherche pas à convaincre par la finesse mais par l’intensité. Il ne prétend pas réinventer le genre, mais veut incarner une forme de cinéma d’action populaire, immédiat et spectaculaire.
Aujourd’hui encore, il divise. Certains y voient un raté symptomatique des excès hollywoodiens, d’autres un film injustement décrié, qui assume jusqu’au bout son délire martial et son sens du spectacle. Mais s’il faut lui reconnaître une qualité, c’est d’avoir tenté quelque chose d’improbable : faire d’un jeu de société un film d’action maritime mêlant technologie alien et patriotisme flamboyant.
Alors, Battleship est-il un échec ? Sur le plan critique, oui. Mais sur celui du cinéma d’action pur, il reste un objet curieux, bruyant, démesuré… et parfois étonnamment attachant.
Et vous, avez-vous embarqué dans ce combat intergalactique ou avez-vous quitté le navire en route ? Votre avis nous intéresse !
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