Les gamins du bricolage qui rêvent plus grand que Bollywood : Superboys of Malegaon

Films / Publié le 13 août 2025 par Charles-Henry
Temps de lecture : 9 minutes

Une accroche qui donne envie : du found-footage à la fiction, la fête du cinéma amateur

Superboys of Malegaon transforme un document de terrain devenu culte en une ode généreuse aux « cinéastes de bric et de broc ». Réalisé par Reema Kagti et écrit par Varun Grover, le film suit Nasir et sa bande de Malegaon — vidéastes de mariage devenus faiseurs de pastiches — dans une histoire où l’amitié, la vanité artistique et la nostalgie se télescopent pour aboutir à un final à la fois solaire et déchirant. Présenté au TIFF en septembre 2024 et sorti en salles en Inde fin février 2025, le film a rapidement trouvé un écho critique et festivalier qui mérite qu’on s’y attarde.

Petits cinéastes, grands rêves

On suit Nasir Shaikh, jeune homme qui tient une vidéothèque et rêve de cinéma grand public pour sa ville. Avec ses amis — Farogh le scénariste, Shafique l’acteur mélancolique, Irfan l’aide de production et quelques autres compagnons — il tourne des hommages et des pastiches aux gros films de Bollywood, dont un fameux Malegaon ke Sholay qui fait sensation localement. Le succès artisanal, les dissensions créatives, la santé qui décline d’un membre du groupe et les compromis moraux liés à la notoriété composent la matière dramatique : le film raconte comment la passion collective se cabosse, comment l’ego et les nécessités financières fracturent une bande qui voulait simplement faire rêver son public.

La réalisatrice : Reema Kagti, passeuse d’illusions et d’émotion

Reema Kagti, déjà connue pour son travail sensible et son goût pour les portraits de groupe, signe ici une mise en scène à la fois fluide et respectueuse des personnages. Plutôt que d’imposer une distance ironique par rapport au matériau documentaire original (Supermen of Malegaon, 2008), Kagti choisit l’empathie : elle creuse les dilemmes, laisse respirer les silences et cadre la ville avec une attention aux lieux qui donne au film une géographie très concrète. Son association avec des producteurs comme Zoya Akhtar, Farhan Akhtar et Ritesh Sidhwani (Excel Entertainment, Tiger Baby) lui fournit une assise industrielle qui sert l’ambition formelle sans effacer la touche intime du récit.

Les principaux comédiens et ce qu’ils apportent

Le rôle-titre de Nasir est confié à Adarsh Gourav, dont la justesse intérieure et la capacité à jouer à la fois le rêveur et l’arrogant donnent au film son centre émotionnel. À ses côtés, Vineet Kumar Singh prête corps à Farogh, l’écrivain à la fois incandescent et amer ; Shashank Arora incarne Shafique, figure poignante dont la fragilité met en branle la dynamique du groupe ; Anuj Singh Duhan et d’autres complètent le chœur avec une vérité de caractère qui sonne toujours juste. Les critiques ont unanimement salué l’alchimie du quatuor : autant d’acteurs capables de rendre palpable la camaraderie, la jalousie et la tendresse qui animent la bande.

Un tournage sincère

Sur la forme, Superboys of Malegaon joue intelligemment des matériaux : reconstitutions d’époque (fin des années 1990 / début 2000), dispositifs de tournage « low-tech » à l’écran (caméras bricolées, montages sur magnétoscope) et un souci du détail de production qui crédibilise l’univers des vidéoclubs et des plateaux artisanaux. La photographie de Swapnil S. Sonawane mise sur des palettes sépia et une lumière de fin d’après-midi qui situent bien l’espace provincial ; le montage d’Anand Subaya rythme la bascule entre la loufoquerie des pastiches et la dureté des renoncements. Producteurs et studios (Excel Entertainment, Tiger Baby) ont mis à disposition des moyens suffisants pour restituer fidèlement l’énergie inventée par Nasir Shaikh et sa bande, tout en gardant la grandeur du cœur plutôt que la grandiloquence technique.

Que reprend-on du documentaire original?

Le film s’inspire librement du documentaire Supermen of Malegaon (Faiza Ahmad Khan, 2008) et reprend l’essentiel du matériau humain : la passion pour le cinéma, la débrouille créative et le humour salvateur. Là où la fiction apporte du neuf, c’est dans l’ampleur dramatique : Reema Kagti et Varun Grover forcent les choix narratifs (compression des temporalités, archétypes romancés, scènes fictionalistes) pour mieux explorer la psychologie des personnages et les conséquences intimes du succès local. Le film n’a pas la crudité documentaire — il gomme parfois la politique et le contexte socio-économique plus âpre — mais il gagne en empathie narrative et en pouvoir cathartique. Cette transposition documentaire → fiction est, en soi, un geste créatif intéressant : elle transforme l’observation en fable humaine sans trahir le matériau source.

Entre comédie affectueuse et mélodrame pudique

Kagti et son scénariste alternent la légèreté des coulisses de tournage (essentiellement des scènes où l’on rit du bricolage, des répliques de cinéma, des faux effets spéciaux) et des séquences plus sombres où les espoirs s’effilochent. Le film réussit souvent son pari de balance : la comédie naît naturellement des limites matérielles — plans volés, doublages approximatifs, costumes improbables — tandis que le pacte émotionnel se noue quand la bande doit faire face à la maladie, à la trahison et à l’usure des rêves. Parfois la tonalité hésite — le passage d’un registre à l’autre est parfois abrupt — mais dans l’ensemble le film parvient à émouvoir sans manipuler lourdement. Plusieurs critiques ont loué cette tenue de ton, notant que le film « fait rire et pleurer sans forcer ».

Quelques éclats memorables

Adarsh Gourav impose une présence qui évite la surenchère : il fait de Nasir un être de chair, capable d’erreurs autant que de noblesse, et son arc dramatique — de l’enthousiasme brûlant au repentir du chef — est bien tenu. Vineet Kumar Singh, acteur souvent salué pour ses transformations physiques et émotionnelles, apporte une intensité délicate à Farogh, tandis que Shashank Arora réussit des scènes de grande fragilité qui donnent au film son poids tragique. Les seconds rôles, composés d’interprètes locaux et charismatiques, enrichissent la texture sociale du récit. Les comptes-rendus de presse soulignent la « justesse collective » comme l’un des meilleurs atouts du film.

Modestie et force d’émotion

Sur le plan de l’innovation formelle, Superboys of Malegaon n’invente pas une nouvelle grammaire cinématographique : sa force tient plutôt au dos-à-dos entre folklore cinéphile régional et mise en forme professionnelle. Là où il innove, c’est dans la façon de célébrer un cinéma « fait maison » et de réhabiliter la culture de la pastiche comme acte de résistance créative. Dans un marché dominé par des productions d’envergure, le film rappelle que l’invention narrative peut surgir d’un tournage sur bicyclettes et d’un green-screen artisanal. Cette célébration du « petit cinéma » donne au film une pertinence culturelle forte — c’est un hommage non pas à la gloire, mais au faire-ensemble.

Pourquoi le film a touché et où il a heurté

La réception a été largement positive. La présentation au TIFF 2024 s’est conclue par une ovation debout, signe d’un premier contact international enthousiaste ; les critiques internationaux (notamment The Guardian et le Financial Times) ont salué la chaleur humaine et l’humour, tout en notant quelques longueurs et un léger flou narratif sur la fin. En Inde, la presse a souvent mis en avant la performance des acteurs et la justesse du portrait social. Au total, le consensus collige une œuvre qui enchante par son coeur et ses interprétations, même si certains spectateurs souhaitaient un traitement plus engagé du contexte socio-politique réel.

Récompensé pour les cinéphiles

Outre sa première à Toronto, Superboys of Malegaon a été programmé dans plusieurs festivals (BFI London, Palm Springs, et autres escales internationales) et a remporté le prix du Meilleur Film au National Indian Film Festival of Australia (NIFFA) 2025. Ce parcours festivalier et récompensé confirme que le film parle autant aux publics qu’aux programmateurs : il touche par son humanité et par la manière sincère dont il rend hommage à une communauté de cinéphiles amateurs.

Les limites : mythe, simplification et romantisation du matériau

Aucune réussite n’est exempte de réserves. Le principal reproche adressé au film est sans doute sa tendance à « romancer » l’histoire — pour la rendre universelle et cinématographique, la fiction gomme parfois les frictions sociales plus dures (politiques locales, tensions religieuses, structures économiques) qui entourent la Malegaon réelle. Cette épuration n’est pas nécessairement un défaut — elle est un choix artistique — mais elle appauvrit parfois la portée documentaire du matériau d’origine pour qui cherchait une lecture plus critique ou contextualisée.

Un film de coeur

Superboys of Malegaon est d’abord et avant tout un film du cœur : une célébration de la camaraderie, de l’amour du cinéma et du bricolage narratif. Ses virtuosités ne sont pas celles des effets spectaculaires mais celles de la direction d’acteurs et de la capacité à transformer une histoire locale en fable universelle. Si vous aimez les films qui rendent hommage au cinéma en tant que pratique collective, si vous appréciez les portraits d’amitiés à la fois tendres et conflictuelles, ce film vous offrira des rires, des larmes et des images qu’on n’oublie pas. Il n’est pas parfait : il choisit la chaleur à l’exactitude documentaire, mais ce pari lui réussit la plupart du temps.

Partager cet article :

Voir le profil de Charles-Henry

Charles-Henry

En perpétuelle recherche de nouveautés culturelles en tout genre.

Soyez le premier à réagir

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

| Sur le même sujet