
Une comédie qui a failli déclencher une crise
En décembre 2014, un petit film américain d’action satirique a réussi l’exploit de devenir l’un des plus controversés de son temps : The Interview. Co-réalisé par Seth Rogen et Evan Goldberg, ce long-métrage aurait pu passer inaperçu dans l’océan des comédies hollywoodiennes. Mais voilà : son intrigue autour d’un plan d’assassinat fictif contre le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un a entraîné une cascade de menaces, un piratage massif chez Sony Pictures et une tempête médiatique mondiale. Ce drôle de parcours, entre taquineries irrévérencieuses et tensions internationales, en avait fait un film unique – un objet cinématographique aussi insolite dans sa genèse que dans son contenu.
Du plateau de talk-show à Pyongyang en mission clandestine
The Interview suit deux Américains comme on en voit peu au cinéma : Dave Skylark, animateur d’un talk-show superficiel nommé Skylark Tonight, incarné par James Franco, et son producteur Aaron Rapoport, campé par Seth Rogen. Après avoir obtenu un entretien improbable avec Kim Jong Un, grand fan de leur émission, les deux hommes sont approchés par la CIA pour transformer cette séquence en mission d’assassinat déguisée. De New York à Pyongyang, avec toute l’innocence de deux amateurs largués dans un endroit ultra-contrôlé, débute une farce lourde en gags, embrouilles politiques, maladresses culturelles et satire flamboyante.
Sur fond de propagande nord-coréenne, retour d’un missile, séances de mise à jour avec la CIA, infiltrations catastrophiques, tout est prévu pour créer un contraste humoristique entre la naïveté caricaturale des deux journalistes et l’absurdité de la situation. Avec une intrigue qui avance au rythme des erreurs idiotes des protagonistes, The Interview mise tout sur l’humour noir et la satire politique, ne reculant devant aucune provocation.
Réalisateurs en riposte : Rogen et Goldberg sous haute tension
Seth Rogen et Evan Goldberg, duo de longue date dans la comédie américaine, signent ici leur deuxième réalisation après This Is the End (2013). Leur style, mis en image depuis leurs débuts, consiste à mêler humour potache, abandon grotesque et justesse satirique – une signature qui culmine dans The Interview. Leur scénario est co-écrit avec Dan Sterling, apportant une structure efficace à une trame volontairement absurde.
Sur le plan formel, Seth Rogen et Evan Goldberg optent pour un rythme soutenu : gags en cascade, improvisations, ruptures de ton. Les séquences à Pyongyang, curieusement tournées ailleurs mais habilement présentées, proposent un décor presque inédit dans la comédie américaine, là où la fascination et le mystère entourent sincèrement la dictature nord-coréenne. Les réalisateurs jouent aussi sur la mise en scène du duo Franco–Rogen, misant sur leur complicité à l’écran pour porter l’entreprise satirique, quitte à sacrifier la finesse politique.
Mais c’est bien l’histoire hors-champs qui a donné au film sa portée. Lors du piratage de Sony par des hackers se revendiquant du gouvernement nord-coréen, le studio a initialement annulé la sortie nationale. Président Obama a alors appelé à ne pas céder à la menace, et Sony a finalement cédé : le film est sorti dans quelques centaines de salles indépendantes aux États-Unis, mais surtout en VOD le 25 décembre 2014. Cette sortie simultanée sans précédent et la guerre latente autour du film ont fait de The Interview un cas d’école pour l’avenir de la distribution cinématographique .
Acteurs sous les projecteurs : quand comédie rencontre caricature
Au centre de cette farce politique, James Franco et Seth Rogen reprennent le duo dont ils sont déjà coutumiers, mais cette fois en injectant une dimension très satirique. Franco incarne un animateur superficiel, égocentrique et maladroit, tandis que Rogen est l’âme un peu plus terre-à-terre du tandem. Leur géniale complémentarité crée la base comique essentielle à l’histoire.
Face à eux, Randall Park se glisse dans la peau de Kim Jong Un. Alors qu’il s’était fait connaître pour ses rôles neutres auparavant, Park apporte une version à la fois ridicule et humanisée du dictateur. Sa prestation, fine et nuancée, surprend dans un tel contexte – plus ronde que cliché, jouant de petites expressions, balbutiements et maladresses de tyran excentrique .
Autour, Lizzy Caplan incarne une agent de la CIA chargée de manipuler le duo. Son jeu ajoute un contrepoids sérieux à la brisure comique. On retrouve aussi en seconds rôles des figures comme Diana Bang et Timothy Simons, étoffant le ton satirique du film sans perdre en dynamique.
Analyse piquante : satire, limites et impact culturel
Au-delà du simple choc des cultures – Américains vs régime nord-coréen – le film joue la carte de la satire politique. Il parodie les chaînes d’info et le sensationnalisme, ridiculise les procédures de la CIA, et offre un regard cynique sur la diplomatie. Les scènes avec Kim jong Un, tantôt cliché, tantôt étrangement tendres, offrent un mélange inattendu.
Côté style, la mise en scène de Rogen et Goldberg donne la priorité au gag instantané. Improvisations, ruptures, montages frénétiques : tout est fait pour l’efficacité. La présence d’un budget modeste (environ 44 M$) se ressent dans les décors mais ne gêne jamais la satire. Au contraire, elle amplifie le contraste entre deux mondes visuellement opposés.
Cependant, le film est souvent critiqué pour sa superficialité : les dialogues sont jugés faciles, l’humour parfois trop potache, et la satire pas assez mordante. Les critiques américains ont relevé une impression de comédie inaboutie, oscillant entre farce osée et blague potache. Sur Rotten Tomatoes, le film garde une réputation contrastée, oscillant entre notes tièdes et satisfactions ponctuelles .
Malgré cela, c’est hors des salles que The Interview a marqué l’histoire. Sortie limitée (331 salles), cumul à peine de 12 à 18 M$ en salle, il s’est rattrapé avec une VOD devenue record : plus de 15 M$ dès la première semaine, entre 2 et 3 M$ en streaming, ce qui en faisait un gros succès numérique pour Sony. Au total, il aurait généré plus de 40 M$ en digital, devenant l’un des plus grands succès à la demande chez Sony.
Héritage et bilan : un tournant pour le cinéma politique et digital
En conclusion, The Interview est d’abord un phénomène social et politique avant d’être un simple divertissement. La décision de Sony de résister aux menaces et de privilégier l’accès numérique a marqué un tournant majeur dans la distribution cinématographique, ouvrant la voie à un modèle « day-and-date » pour les films controversés. L’événement servira de référence pour les industries cinématographiques et technologiques réfléchissant à l’avenir des sorties simultanées salles/streaming
Artistiquement, le film reste une comédie imparfaite mais audacieuse. Les performances de Franco, Rogen et Park, la satire politique choquante, l’humour irrévérencieux font de The Interview un miroir satirique saisissant des dérives médiatiques et diplomatiques. Malgré des limites – humour approximatif, clichés évidents – l’urgence du propos face à une menace réelle confère à cette comédie une intensité inhabituelle, transfigurée en spectacle contre la censure.
Mission comique réussie ?
The Interview est loin d’être un chef-d’œuvre comique : c’est une comédie pop-corn satirique, aux gags lourds et aux ruptures tonales. Mais l’effet d’aubaine médiatique, l’acte politique que représente sa sortie, et les performances décalées de ses interprètes en font une curiosité culturelle immanquable. Plus qu’un divertissement potache, le film devient le symbole d’un combat d’opinion, d’un clash entre la liberté d’expression et les tentatives d’intimidation internationales.
Pour tous ceux qui s’intéressent aux coulisses du pouvoir – médiatique, politique, numérique – The Interview est une étude de cas fascinante : une comédie légère montée en épingle par un scandale global. On en sort à la fois diverti, interpellé, et un peu choqué par la puissance d’une blague devenue incident géopolitique.
The Interview
« The Interview » est une comédie controversée qui suit les aventures de Dave Skylark (joué par James Franco), un animateur de talk-show sensationnaliste, et Aaron Rapoport (joué par Seth Rogen), son producteur. Lorsque Dave et Aaron obtiennent l’opportunité exclusive d’interviewer Kim Jong-un, le dirigeant de la Corée du Nord, ils voient cela comme une chance de […]
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Je partages avec passion ses analyses affûtées et ses coups de cœur culturels. Cinéphile curieux, gamer invétéré et explorateur infatigable de sorties en tout genre, il aime plonger dans les univers variés que proposent les films, les jeux vidéo, les séries et les événements culturels. Pour moi, chaque œuvre est une expérience à vivre, à comprendre et à transmettre — avec justesse, humour et un brin de subjectivité assumée.
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