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Dans un monde saturé de blockbusters spectaculaires et d’intrigues contemporaines, 1618 se distingue comme un drame historique puissant et profondément humain. Réalisé par Luis Ismael, ce film portugais plonge au cœur de la persécution des juifs conversos à Porto au XVIIᵉ siècle. Avec une esthétique soignée et un récit centré sur la famille et la communauté, il capte les spectateurs sans artifices. Grâce à sa durée ramassée (1 h 25–1 h 30 selon les sources), 1618 offre une immersion intense dans l’histoire, où chaque minute compte.
Un synopsis haletant ancré dans l’histoire
1618 explore une période sombre de l’histoire portugaise : l’Inquisition s’abat sur Porto, acculant les juifs conversions forcées et dénonciations. Lorsque le Visitador Sebastião Noronha arrive, la population est sommée de dénoncer les hérésies, sous peine d’excommunication et d’emprisonnement . Face à cette menace, António Álvares, incarné par Pedro Laginha, élabore un plan de fuite pour sauver sa famille et la communauté.
Le film s’inspire des événements réels survenus en 1618 à Porto : des juifs dits “nouveaux chrétiens” sont traqués, emprisonnés, leur économie et leur vie détruites. Présenté à de nombreux festivals internationaux et récompensé à Chicago, Istanbul, New York, Stockholm, Moscou, Montréal, Tampa et bien d’autres, le film est salué pour sa reconstitution soignée, ses costumes et sa photographie élégante .
Luis Ismael : le réalisateur à la plume engagée
Luis Ismael, réalisateur et scénariste de 1618, creuse un peu plus le thème de la persécution juive après son premier opus Sefarad. Il signe ici son second film marquant sur cette question historique . Formé à Porto, il mêle vision artistique et rigueur documentaire : il a travaillé avec le Centre for Historic Research of the Jewish Community of Oporto pour garantir la précision historique du récit.
La réalisation de Luis Ismael frappe par son choix minimaliste, concentré sur quelques personnages clés, et par sa reconstitution visuelle très soignée (lumière, décors, costumes) reconnue par plusieurs prix (ex. Istanbul Film Awards pour la direction artistique et la photographie) . Cette approche donne au film un souffle dramatique immersif, sans excès baroque, mais chargé d’émotion.
Les acteurs qui incarnent l’âme de Porto
Pedro Laginha dans le rôle d’António Álvares
Au centre du film, Pedro Laginha incarne António Álvares, un père de famille prêt à tout pour protéger les siens. Son jeu sobre et intense véhicule la tension morale de l’époque : il est à la fois stratège, protecteur et homme accablé. Sa performance est unanimement saluée, notamment pour avoir su transmettre la force d’un homme ordinaire plongé dans une situation extraordinaire.
Francisco Beatriz en Visitador Sebastião Noronha
Francisco Beatriz prête ses traits inquiétants au visitador, représentant imposant de l’Inquisition. Son personnage impose une autorité froide, presque théâtrale, incarnant la brutalité institutionnelle. Si certains critiques ont jugé son jeu un peu rigide (voire théâtral), ce choix renforce l’univers rigide et sans échappatoire du film .
Catarina Lacerda et Mafalda Banquart : les figures féminines
Catarina Lacerda, dans le rôle de Adelaide Álvares, incarne la douceur et le courage maternal. Face à l’oppression, elle incarne l’espoir tranquille. Mafalda Banquart, quant à elle, joue Ana Mocatta, témoignant de la souffrance et de la résistance intérieure. Toutes deux offrent des performances subtiles, parfois jugées sous-exploitées en raison de la structure chorale du film .
Le reste de la distribution
Aux côtés des têtes d’affiche, Paulo Manso incarne Frederico Mocatta, figure de la communauté, tandis que Hugo Olim et Ivo Bastos apportent densité à l’entourage familial et communautaire. Ensemble, ils dessinent une galerie de visages qui rend la communauté de Porto riche et crédible.
Une toile de fond moins connue mais cruciale
Alors que la date 1492 évoque l’expulsion des Juifs d’Espagne, le décret portugais de 1496, obligeant juifs et musulmans à se convertir ou partir, est largement oublié. Porto, en 1618, est un bastion où de nombreuses familles – Marranes ou nouveaux chrétiens – avaient réussi à maintenir une existence relativement paisible. Jusqu’à l’arrivée de Sebastião Noronha, le visitador inquisitorial, chargé de purger les soupçons d’hérésie. En quelques mois, la terreur s’installe, la dénonciation se répand et les familles sont brisées. Le film retrace ce moment historique avec une rare rigueur : plus de cent juifs emprisonnés, des économies ruinées, une émigration massive vers les Pays-Bas et l’Empire ottoman.
De la vision à la réalisation : la mission de Luis Ismael
Une immersion dans le XVIIᵉ siècle
Luis Ismael ne se contente pas d’un simple film historique : il impose une forme qui reflète le contenu. Tournages en lumière naturelle, décors minutieusement reconstitués, costumes fidèles à l’époque et usage d’espaces existants – bâtiments anciens de Porto –, tout concourt à une immersion totale . La lumière, à elle seule, transforme certaines scènes en tableaux vivants, à la manière des maîtres flamands ou baroques, comme l’a relevé Rome Prisma Independent Film Awards.
Ces choix artistiques témoignent d’une volonté d’authenticité : d’un côté, relater un événement historique difficile, de l’autre, offrir une expérience sensorielle intense, qui dépasse le simple cadre documentaire.
Innovation et pertinence
L’apport de 1618 se mesure à plusieurs niveaux. D’abord, il dévoile un épisode oublié du passé portugais – et plus largement européen – en utilisant des méthodes de reconstitution historique peu communes. Ensuite, en ancrant le propos dans des questionnements contemporains – le retour des nationalismes, la stigmatisation religieuse, la mémoire collective – Luis Ismael propose un film à la fois historique et prophétique, une « reverse prophecy », selon le jury de Rome Prisma Independent Film Awards.
Mais au-delà du propos, c’est l’économie du récit qui surprend : concentré (90 minutes selon IMDb ), le film choisit une intensité dramatique, un schéma resserré autour de quelques familles clés, évitant l’exposition d’une fresque trop large. C’est ce choix, salué ou contesté selon les critiques, qui constitue la forme d’innovation narrative principale.
Le tournage : souci du détail et rigueur documentaire
Luis Ismael s’est appuyé sur le Centre for Historic Research of the Jewish Community of Oporto pour garantir l’exactitude des décors, pratiques cultuelles et us de l’époque. Le tournage s’est déroulé à Porto, dans des bâtiments anciens, ce qui donne à l’image une authenticité rare, loin des studios lisses.
La décision d’utiliser la lumière naturelle relie l’image à la temporalité historique : crépuscules, bougies, intérieurs sombres deviennent autant d’éléments narratifs. La photographie, à cela, est saluée par les festivals européens, renforcée par un soin particulier apporté au costume et à la direction artistique .
Apport et innovations, au-delà de la forme
Un morceau d’histoire révélé
Pendant longtemps, l’histoire des Juifs portugais a été éclipsée par celle des descendants de l’Inquisition en Espagne. 1618 corrige le tir, exposant la mécanique inquisitoriale, le tissu social de Porto, la pression sociale et politique jusqu’à l’effondrement de vies ordinaires. La densité historique est renforcée par la reconstitution des (*) prisonnières, des cellules, des véhicules d’emprisonnement, et des juges d’époque .
Un propos universel
Le film n’est pas seulement historique : il est un miroir pour notre temps. Le jury de Rome Prisma en a tenu compte, parlant de la répétition des vices contemporains : exclusion, diffamation, stigmatisation religieuse / ethnique.
Une économie narrative
En 90 minutes, le film réussit à concentrer le propos, pour le meilleur et pour le pire. Plusieurs critiques saluent cette intensité (comme Pedro Quintão sur Letterboxd) : « Meilleur CGI jamais vu dans un film portugais… bon rythme… dialogues qui invitent à la réflexion ». D’autres regrettent le manque de développement des miroirs narratifs secondaires.
Une oeuvre importante, malgré ses imperfections
1618 est une proposition audacieuse dans le cinéma historique portugais. Il aborde un pan dramatique de l’histoire trop peu abordé à l’écran : l’Inquisition et la persécution des juifs de Porto orchestrée autour d’un homme prêt à tout pour empêcher la catastrophe. Le film se distingue par son engagement visuel et sa sincérité narrative.
Malgré ses défauts – un récit foisonnant et parfois trop didactique, des personnages secondaires sous-exploités –, il reste un film vibrant, porté par une direction artistique de premier plan et une construction dramatique convaincante.
Film d’histoire, portrait familial, chronique communautaire, 1618 croise plusieurs registres pour offrir une mise en scène touchante et documentée. Il trouve son rythme dans une tension narrative constante, alimentée par la menace inquisitoriale, et se distingue visuellement par une reconstitution soignée. Cependant, la densité de personnages non explorés et le ton parfois trop explicatif limitent son envol critique.
Pour autant, il s’impose comme un film audacieux et nécessaire. Une plongée poignante et convaincante dans un épisode dramatique de l’histoire portugaise, magnifiée par une écriture rigoureuse et une mise en image raffinée. À découvrir pour son message universel sur la liberté, la mémoire et le courage.
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