
Une plongée sans filet au cœur du désert
En 2016, Mickey Keating livre un film qui lorgne autant vers les classiques du grindhouse que vers l’ambiance abrasive des thrillers 70s : Carnage Park. Porté par une atmosphère sèche, une violence à fleur de peau et des personnages pris au piège d’un maniaque militaire, ce thriller horrifique marque une nouvelle étape dans l’évolution de son auteur. Après des œuvres telles que Pod et Darling, Keating signe ici un long métrage à la fois stylisé et brutal, un hommage revendiqué à des figures de la violence à l’écran comme Sam Peckinpah ou Quentin Tarantino. Avec ses 90 minutes nerveuses, le film s’impose comme un objet pointu, flirtant avec l’absurdité et l’angoisse distillée dans un décor quasi lunaire.
Entre braquage qui tourne mal et jeu du chat et de la souris
Nous sommes en 1978. Deux braqueurs, « Scorpion Joe » et Lenny, prennent Vivienne Fontaine en otage après un hold-up qui a mal tourné. Leur fuite les mène dans le désert californien, vers une zone surnommée Carnage Park, repaire d’un ex-sniper militaire psychopathe nommé Wyatt Moss. Sur fond de route poussiéreuse et de tension grandissante, la situation dérape : Lenny est tué, Vivienne est ligotée au silence, et seule face à un adversaire implacable. Wyatt prend un plaisir morbide à jouer avec ses proies, disséquant leur comportement et activant des pièges nerveux dans cette vaste zone clôturée.
Au cœur du récit, on trouve une lutte impitoyable pour la survie. Vivienne, interprétée avec intensité par Ashley Bell, doit puiser dans ses ressources pour échapper à ce jeu sadique où chaque mouvement peut être fatal. Le scénario épouse un ton minimaliste et sans concession : peu d’explications, peu de personnages, mais une force implacable dans la tension. L’espace, figé par la chaleur et le silence abrupt, devient un adversaire à part entière.
Mickey Keating : l’orfèvre du néo‑western horrifique
À 26 ans, Mickey Keating s’est imposé comme une voix singulière du cinéma indépendant américain. Après des débuts prometteurs avec Pod (2015) et Darling (2015), il signe Carnage Park, qu’il écrit et réalise, dans une maîtrise renouvelée de son univers. Inspiré à la fois par le cinéma de genre des années 70 comme celui de Sam Peckinpah et par un esthétisme grindhouse, Keating impose un style visuel dense : couleurs sépia, effets sanguinolents et usage prononcé de cut‑ins typographiques.
Sur le tournage – démarré en mai 2015 à Los Angeles – Keating s’appuie sur un espace unique, quasi naturel, pour renforcer la tension . Le désert devient laboratoire psychologique où humains et milieu se confrontent. Il fait le choix d’un casting restreint, focalisé, et joue avec un dosage maîtrisé de violence crue et de pauses méditatives, visant à créer une expérience sensorielle anxiogène.
Un trio d’acteurs au cœur du enfer
Ashley Bell : une héroïne de l’épuisement
Ashley Bell, déjà remarquée pour The Last Exorcism, livre ici sa performance la plus éprouvante. Vivian n’est pas une simple « scream queen » : elle incarne une survivante, à la fois fragile, humaine et têtue. Bell parvient à transmettre la peur viscérale, l’épuisement, mais aussi une rage silencieuse qui la pousse à se battre contre l’absurde. Certaines critiques soulignent toutefois des moments plus faibles, où la tension retombe dans une routine thriller prévisible .
Pat Healy : l’anti-héros militaro-fou
En Wyatt Moss, Pat Healy déploie une présence glaçante. Ombre armée armée, visage masqué, ton militaire, Wyatt semble sortir d’un cauchemar kitschisé. Sa prestation oscille entre rationalité glacée et folie assumée : maniaque, calculateur, monstrueux, il retrouve une menace personnelle autant que psychologique. Quelques critiques ont jugé son antagonisme parfois trop cartoon, surtout dans l’ultime affrontement, où l’horreur vire au grotesque .
Second rôle impattés
James Landry Hébert et Michael Villar apportent l’énergie brute du départ : leurs personnages de braqueurs déclenchent la mécanique implacable. Alan Ruck, en shérif, et Larry Fessenden, en survivant brisé, ajoutent une profondeur bienvenue, sans toutefois prolonger l’histoire, laissant le film recentré sur Vivian et Wyatt
Un hommage stylisé, mais à quel prix ?
Le film assume sa violence crue et son ton grindhouse. La réalisation utilise un style visuel sépia marqué, les éléments de décor (montagnes, palissades, carcasses métalliques) et la violence parfois graphique rappellent les films cultes des années 70, sans jamais sombrer dans le clinquant d’effets numériques. Beaucoup saluent l’effort d’authenticité – découpage brutal, lumières naturelles, ambiance étouffante – mais certains déplorent un manque de profondeur .
Les critiques s’accordent à dire que Carnage Park est un film d’atmosphère avant tout, visant moins une réflexion narrative qu’une expérience sensorielle. Si l’hommage aux maîtres du genre est évident, le film a parfois été jugé trop référentiel, voire un peu vain : « un film stylisé à outrance », « platement violent » pour les uns, « pur ride pulp fun » pour les autres .
Aspect technique : l’épaisseur d’un désert
Outre la direction artistique poussée, la photographie de Mac Fisken capte le désert avec une intensité visuelle notable, jouant sur les contrastes et la chaleur suffocante. La musique de Giona Ostinelli accompagne les moments clés, alternant tension électrique et silences pesants, tout en soutenant l’esprit grindhouse du film.
Le montage, signé Valerie Krulfeifer, accentue le rythme et joue avec des coupes brutales, instaurées au plus fort de la violence psychologique. Mickey Keating, connu pour son esthétique rapide et “flashy” (effets visuels, inter-titles), maintient ici une tension constante tout au long des 86 minutes.
Réception critique et impact
Présenté à Sundance puis au festival SXSW en 2016, Carnage Park a divisé les critiques. Il récolte un modeste 61 % sur Rotten Tomatoes, entre louanges pour son intensité et reproches pour ses emprunts stylistiques
- Some Top Critic sur RT évoque un « thrill ride brutal, parfaitement effrayant » et loue les effets pratiques
- Mais d’autres le jugent vide, et un journaliste écrit d’un ton acerbe : « His gore is admirable, mais la finalité manque » .
Sur le plan des récompenses, le film n’a séduit aucun grand festival, malgré sa sélection officielle. Il n’a conservé aucune mention pour l’écriture, la performance ou l’innovation, mais demeure un objet culte pour les amateurs de grindhouse revival. Universalement, le casting et l’engagement visuel ont été salués, même si quelques critiques ont souligné un manque de variations dans le rythme et la narration .
Un film marquant ou éphémère ?
Carnage Park ne prétend pas révolutionner le genre, mais propose un concentré de tension âpre, portée par une mise en scène précise, des cadres oppressants et des performances crédibles. Le format court, supérieur à 80 minutes, rend l’expérience intense, presque suffocante.
Ce qui manque peut-être au film, c’est une vraie réflexion ou un angle narratif inattendu. Son intérêt réside davantage dans l’ambiance pesante, l’hommage aux racines du cinéma viril et violent, et son refus d’atténuer le traumatisme infligé à son personnage principal. À ce titre, la performance d’Ashley Bell se détache : Vivienne n’est pas la victime passive d’un scénario convenu, elle survit, réfléchit, lutte — et finit par l’emporter dans une délivrance à la fois cathartique et sinistre .
Immersion étouffante dans un désert sans retour
Carnage Park est avant tout une expérience stylistique, brute et sensorielle. Mickey Keating signe un film où chaque recoin d’un désert brûlant recèle un danger latent. Il traduit une vision singulière : une violence qui n’est jamais gratuite, ancrée dans un environnement hostile et une temporalité granuleuse. Si l’on y ajoute la performance musclée d’Ashley Bell et l’incroyable présence de Pat Healy, le Cocktail devient un objet intense, parfois dérangeant, mais indéniablement mémorable.
Pour les amateurs de grindhouse rétro, de thriller psychologique et de récit sans filet, Carnage Park est une attention recommandée. Pour ceux qui recherchent une histoire plus développée ou des enjeux métaphysiques, le film laisse peu de place. Mais son esprit demeure intact : gravé dans la poussière du désert, tourné vers l’effroi, et traversé d’éclairs de résistance.
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