
Sorti au Japon en 1997, Princesse Mononoke (Mononoke Hime en version originale) reste à ce jour l’un des films les plus puissants et les plus profonds du studio Ghibli. Imaginé et réalisé par le maître de l’animation Hayao Miyazaki, ce long-métrage marque un tournant dans sa filmographie en mêlant une vision sombre, parfois violente, du monde avec la poésie et la sensibilité qui lui sont propres. À la croisée du film épique, du conte mythologique et de la fable écologique, Princesse Mononoke est une œuvre dense, complexe, et résolument actuelle.
Si le public occidental l’a souvent découvert tardivement, notamment grâce à sa sortie internationale en 1999, le film a connu un immense succès au Japon dès sa sortie, devenant à l’époque le plus gros succès national de l’histoire du box-office nippon (avant d’être détrôné deux ans plus tard par Le Voyage de Chihiro, du même Miyazaki). Le film a reçu un accueil critique dithyrambique dans le monde entier, tant pour la richesse de son propos que pour sa qualité d’animation.
Un synopsis en forme de quête initiatique
Le film s’ouvre dans le Japon médiéval, à l’époque de Muromachi (1336-1573), une ère de bouleversements sociaux et technologiques. Le jeune prince Ashitaka, dernier héritier du clan Emishi, sauve son village en affrontant un démon sanglier qui ravage tout sur son passage. Durant le combat, il est touché au bras et se voit maudit : une marque noire se répand sur sa peau, présage de mort. Pour comprendre l’origine de cette malédiction et espérer y échapper, il prend la route vers l’Ouest.
Son voyage le conduit à la lisière d’une forêt sacrée habitée par les esprits anciens et protégée par des créatures mythiques, dont des dieux-animaux géants comme le grand cerf Shishigami et le redoutable dieu-loup Moro. Mais la forêt est menacée par l’exploitation humaine, incarnée par Dame Eboshi, une femme visionnaire et impitoyable à la tête de la Forge des forges, un complexe industriel en plein essor. Elle cherche à dompter la nature pour créer un monde plus égalitaire, notamment pour les lépreux et les prostituées qu’elle emploie et protège.
C’est au cœur de ce conflit entre la nature et la civilisation qu’Ashitaka rencontre San, une jeune fille élevée par des loups, connue sous le nom de Princesse Mononoke. Farouchement opposée aux humains, elle incarne la rage de la forêt. Pris entre deux mondes, Ashitaka tente de réconcilier les camps, tout en luttant contre sa propre fin annoncée.
Hayao Miyazaki : l’artisan du merveilleux et du désenchantement
Derrière Princesse Mononoke se trouve Hayao Miyazaki, figure tutélaire de l’animation japonaise, cofondateur du studio Ghibli. Réalisateur, scénariste, animateur, il est reconnu pour son approche profondément humaniste du récit, ses personnages féminins forts, et son attention méticuleuse aux détails du monde qu’il construit. Né en 1941 à Tokyo, Miyazaki a toujours été fasciné par la nature, les machines volantes, et les récits d’aventure.
Avec Princesse Mononoke, il réalise son film le plus adulte jusqu’alors. Contrairement à ses précédentes œuvres comme Mon voisin Totoro ou Kiki la petite sorcière, ce long-métrage aborde des thèmes d’une grande complexité morale : la guerre, l’écologie, la spiritualité, la condition humaine. Miyazaki refuse la dichotomie simpliste entre le bien et le mal. Tous les personnages ont leurs raisons, leurs contradictions, leurs blessures. Il ne s’agit pas d’un conte pour enfants, mais d’un poème visuel destiné à un public capable de saisir les nuances du monde.
Le film est également une prouesse technique. Plus de 144 000 dessins ont été réalisés à la main, accompagnés de quelques séquences numériques pionnières pour l’époque, comme les vers grouillants du démon sanglier. L’animation, fluide et vibrante, donne vie à une nature luxuriante, habitée par des créatures étranges, des esprits sylvestres silencieux, et des dieux-animaux d’une puissance quasi-divine.
Un choc visuel et narratif qui a redéfini les codes du film d’animation
Quand Princesse Mononoke sort en 1997 au Japon, peu s’attendent à l’impact qu’aura ce film sur le paysage cinématographique mondial. Réalisé par Hayao Miyazaki pour le compte du studio Ghibli, ce long-métrage dépasse les attentes tant sur le plan artistique que commercial. Il devient, à l’époque, le plus grand succès de l’histoire du box-office japonais, détrônant E.T. de Spielberg au Japon et installant Miyazaki comme une figure internationale du septième art.
Avec Princesse Mononoke, Miyazaki ne se contente pas de raconter une fable écologique. Il élève le cinéma d’animation à un niveau rarement atteint, en proposant un récit adulte, complexe, éthiquement ambigu, porté par des personnages inoubliables et un univers visuellement sidérant. Loin des stéréotypes enfantins trop souvent associés à l’animation, ce film prouve que le dessin animé peut rivaliser, en ambition et en profondeur, avec les plus grandes fresques cinématographiques.
Une production titanesque et novatrice
La conception de Princesse Mononoke fut un chantier d’une ampleur inédite pour le studio Ghibli. Le film représente un tournant dans la manière dont l’animation japonaise était produite. Il a nécessité environ 144 000 dessins, tous réalisés à la main, avec seulement quelques scènes ayant recours à l’infographie — une première pour Miyazaki, qui jusqu’alors refusait toute forme de numérisation. L’usage du numérique fut limité mais décisif, notamment dans les effets spéciaux liés aux démons et aux vers rampants, ou encore dans les transitions atmosphériques. Le résultat est saisissant : jamais un film d’animation n’avait présenté une telle densité de mouvement, de détails et de textures.
La réalisation s’est étalée sur plusieurs années. Miyazaki a supervisé personnellement chaque plan, allant jusqu’à redessiner plusieurs milliers de cellules lui-même. Son perfectionnisme est légendaire, et Princesse Mononoke en est l’illustration ultime. La minutie des décors, inspirés des forêts primaires de Yakushima au Japon, la complexité du character design, ou encore la gestion des foules et des batailles — tout y respire la maîtrise et l’exigence artistique.
Cette débauche de travail n’a pas été vaine. Elle a permis à Princesse Mononoke de devenir le film d’animation le plus coûteux de l’histoire du Japon à sa sortie, avec un budget estimé à 2,3 milliards de yens (soit environ 23 millions de dollars à l’époque). Un pari financier risqué pour le studio, mais un pari gagnant.
Une narration adulte, engagée et profondément morale
Là où Miyazaki innove, c’est aussi dans son approche narrative. Princesse Mononoke ne propose pas un récit manichéen. À l’opposé des conventions hollywoodiennes, personne n’est tout à fait bon ou mauvais. La jeune San, fille adoptive des loups et protectrice acharnée de la forêt, se bat avec fureur contre les humains, n’hésitant pas à tuer. Dame Eboshi, dirigeante de la forge industrielle, est à la fois destructrice de nature et bienfaitrice sociale, offrant travail, dignité et protection aux lépreux et aux anciennes prostituées.
Ashitaka, héros stoïque et pacifiste, est quant à lui un témoin désillusionné, un messager entre les mondes, pris dans un conflit qu’il ne peut résoudre par la force. Il n’est ni un élu ni un sauveur, mais un pont entre des visions du monde irréconciliables.
La subtilité morale du film est rare dans le cinéma d’animation — et même dans le cinéma tout court. Le film explore des thèmes tels que la coexistence, l’équilibre, la corruption du pouvoir, la douleur de la modernité, la spiritualité animiste et la violence comme symptôme de déséquilibre écologique.
Ce n’est donc pas une surprise si, à sa sortie en Occident, le film est qualifié de « Shakespearean epic » par The New York Times. Neil Gaiman, qui a écrit l’adaptation anglaise du film, dira plus tard que c’était l’un des scripts les plus difficiles de sa carrière, justement à cause de cette complexité morale inédite.
Des performances vocales à la hauteur de la fresque
Dans sa version originale japonaise, Princesse Mononoke s’appuie sur des interprètes confirmés du théâtre et du cinéma nippon. Yōji Matsuda donne à Ashitaka une voix calme, empreinte de retenue et de noblesse. Son jeu tout en nuances correspond parfaitement à ce personnage de samouraï en quête d’harmonie.
Yuriko Ishida, qui interprète San, transmet avec intensité la rage et la douleur de cette enfant élevée par des bêtes, écartelée entre humanité et animalité. Sa voix tranche, presque brute, donne une puissance émotionnelle brute au personnage. Yūko Tanaka, dans le rôle de Dame Eboshi, incarne avec subtilité cette femme pragmatique, à la fois tyrannique et altruiste.
L’une des plus belles surprises vocales du film reste Akihiro Miwa dans le rôle de Moro, la déesse-louve. Miwa, homme au timbre grave et à la carrière flamboyante, donne au personnage une tonalité ambivalente, presque mystique, qui confère une profondeur saisissante à la figure maternelle animale.
La version anglaise, produite par Disney et supervisée par Neil Gaiman, aligne un casting tout aussi prestigieux : Billy Crudup (Ashitaka), Claire Danes (San), Minnie Driver (Eboshi), Gillian Anderson (Moro) et Billy Bob Thornton (le moine Jiko). Si certaines critiques ont reproché un léger décalage culturel dans les intonations, la version reste très respectueuse de l’originale et permet au film d’atteindre un plus large public.
Une bande originale envoûtante et intemporelle
La musique de Joe Hisaishi, compositeur attitré de Miyazaki, est une pièce maîtresse de l’œuvre. Sa partition oscille entre la grandeur symphonique et la délicatesse des motifs mélodiques, traduisant parfaitement l’ambivalence du film : beauté naturelle et violence humaine, mélancolie et exaltation, spiritualité et désespoir.
Le thème principal, repris dans plusieurs scènes-clés, est d’une élégance bouleversante. Il crée un contrepoint émotionnel puissant aux scènes de guerre, de course, de sacrifice. Hisaishi utilise avec parcimonie les silences, les dissonances et les leitmotivs pour accompagner le spectateur dans un monde où chaque émotion est à fleur de peau.
Une pluie de récompenses et une reconnaissance mondiale
Princesse Mononoke a été récompensé au Japon par le Prix de l’Académie pour le Meilleur film en 1998, une distinction rarement accordée à un film d’animation. Il a également remporté l’Ofuji Noburo Award et le Mainichi Film Award pour la meilleure musique.
Internationalement, le film a été projeté à de nombreux festivals, dont celui de Berlin, et salué unanimement par la critique. En 1999, il a été nommé aux Annie Awards dans plusieurs catégories, bien qu’il n’ait pas été nommé aux Oscars — une absence encore régulièrement critiquée comme l’une des grandes injustices de l’Académie.
Mais sa récompense la plus durable reste son influence. Sans Princesse Mononoke, il est peu probable que le cinéma d’animation japonais aurait acquis une telle reconnaissance mondiale. Il a ouvert la voie à la distribution internationale de Le Voyage de Chihiro, Le Château ambulant, ou encore Your Name. Des cinéastes comme Guillermo del Toro, James Cameron ou Denis Villeneuve ont évoqué l’impact de Miyazaki et de ce film en particulier sur leur propre travail.
Une œuvre écologique visionnaire avant l’heure
Bien avant que le changement climatique devienne une obsession mondiale, Princesse Mononoke posait déjà les bonnes questions : jusqu’où peut aller le progrès ? Peut-on cohabiter avec la nature sans la détruire ? L’humanité peut-elle vivre sans dominer ?
Miyazaki, fervent pacifiste et écologiste, ne propose pas de solutions, mais il offre une parabole. Dans le monde de Princesse Mononoke, tout acte a des conséquences. Chaque forêt abattue, chaque dieu tué, chaque rivière polluée déséquilibre l’ordre du monde. Mais il ne verse jamais dans la morale simpliste : la forge d’Eboshi libère aussi des opprimés, et la nature n’est pas pure — elle peut aussi être violente, aveugle, impitoyable.
Cette complexité écologique fait écho à nos dilemmes contemporains. À une époque où la collapsologie s’invite dans les débats publics, Princesse Mononoke continue d’interroger notre rapport au vivant avec une lucidité rare.
Un héritage cinématographique immortel
En 2023, la ressortie en salles de Princesse Mononoke à l’occasion des 100 ans de la Toho a attiré une nouvelle génération de spectateurs. Le film ne semble pas vieillir, ni dans sa forme, ni dans son fond. Il continue d’éblouir les jeunes et de bouleverser les adultes.
L’animation, toujours dessinée à la main, possède un charme organique que les productions numériques modernes peinent à égaler. Les dialogues, les personnages, les paysages — tout y respire une authenticité artistique devenue rare. Princesse Mononoke est une œuvre qui se vit, qui s’écoute, qui se médite.
C’est un film de guerre, mais sans héros triomphants. Un film écologique, mais sans prêchi-prêcha. Un film de fantasy, mais enraciné dans une réalité historique et spirituelle profonde. En somme, un chef-d’œuvre qui échappe aux catégories et qui continue, presque trente ans plus tard, de résonner dans les cœurs et les consciences.
Et vous, quelle trace « Princesse Mononoke » a-t-elle laissée en vous ?
Avez-vous été saisi par la beauté sauvage de ses paysages ? Par la noblesse tragique de ses personnages ? Par la puissance visionnaire de son récit ? Partagez votre expérience, vos scènes marquantes, vos réflexions. Princesse Mononoke n’est pas seulement un film à regarder : c’est un monde à explorer, une mémoire à faire vivre.
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Je suis Claire, critique passionnée avec un regard acéré pour les détails artistiques. Mes critiques mêlent profondeur et élégance, offrant des perspectives uniques sur les médias. Avec une plume raffinée et une compréhension fine des œuvres, je m'efforce d'enrichir le dialogue et d'éclairer les spectateurs.
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