Quand la pop se fait singe : critique ironique d’un biopic qui prend des risques dans Better Man

Films / Publié le 26 septembre 2025 par Charles-Henry
Temps de lecture : 8 minutes
pop anglaise robbie williams

Entrons dans le vif du sujet sans jouer les gentleman : Better Man est le biopic musical audacieux consacré à Robbie Williams, réalisé par Michael Gracey — le metteur en scène de The Greatest Showman — qui a choisi de raconter la trajectoire du chanteur en faisant de son avatar… un chimpanzé en CGI. Oui, vous avez bien lu. L’idée, à la fois provocante et volontairement décalée, vise à rendre visible la sensation d’être « l’artiste-spectacle » que Robbie Williams a lui-même décrite : un performeur qui, parfois, se sent comme une « bête de scène ». Le film, tourné en 2022–2023 et sorti à la fin 2024/début 2025, a divisé les foules : ovation critique chez certains, fiasco commercial pour d’autres — et surtout un terrain de jeu idéal pour le sarcasme d’un critique.

Remue plus qu’il ne fredonne

Better Man déroule plusieurs décennies de la vie de Robbie Williams, depuis ses débuts dans Take That jusqu’aux excès, aux chutes et aux renaissances d’un artiste pris entre éclat public et fragilité privée. Le film alterne scènes d’enfance, triomphes scéniques et plongées dans l’addiction, tout en pimentant le récit de numéros musicaux joués — et parfois réenregistrés — par Williams lui-même. Le parti pris narratif est limpide : raconter « la star » autant que l’homme, en montrant la schizophrénie entre image et intériorité, scène après scène. L’utilisation du singe comme métaphore visuelle installe un décalage qui peut désarçonner, faire rire, ou, pour les puristes, grincer des dents.

Michael Gracey et le goût du spectaculaire

Michael Gracey revient ici à son terrain de prédilection : le musical pompé d’images fortes et d’idées visuelles frappantes. Après The Greatest Showman, il confirme son goût pour la théâtralité et la métaphore plastique, mais il s’attaque cette fois à la biographie d’une figure pop contemporaine. Son film n’est pas une reconstitution académique ; c’est une fable visuelle où la mise en scène cherche à traduire des états intérieurs par des effets — chorégraphies, CGI, travellings émotionnels — plus que par des exposés historiques. Le geste est risqué : Gracey tente d’atteindre la vérité émotionnelle par l’hyperbole visuelle. Parfois ça marche, parfois le dispositif écrase la vérité humaine qu’il prétend servir.

Qui porte le singe (et l’émotion) ?

La performance « physique » revient à Jonno Davies, comédien chargé du motion capture qui donne vie au chimpanzé-Robbie par le jeu corporel, tandis que Robbie Williams prête sa voix et sa musique, réenregistrant plusieurs titres pour le film. Autour d’eux, Steve Pemberton et Alison Steadman forment des figures de soutien qui ajoutent du relief dramatique, incarnant la famille et le cercle proche. Le choix d’un comédien en capture plutôt que d’un simple doublage accentue la volonté du film de garder une intensité organique — même quand l’enveloppe est synthétique. Ce duo performance humaine / voix réelle crée un effet de double lecture : on regarde une créature numérique mais on entend une confession humaine.

Chaleur humaine en CGI

La production a mobilisé un large dispositif technique et de repérage : tournage en studio (dont Docklands à Melbourne) et prises de vues dans des lieux symboliques comme Regent Street et le Royal Albert Hall à Londres, le tout entre mai 2022 et juin 2023. L’équation technique du film combine captation de performance, plateaux de jeu traditionnels et effets numériques massifs pour créer un personnage central en CGI tout en préservant la chaleur humaine des scènes réelles. C’est un mélange d’artisanat de plateau et de savoir-faire VFX qui, quand il fonctionne, produit une illusion troublante ; quand il ne fonctionne pas, rappelle que l’on regarde un collage ambitieux.

Net mais pas sans bavures

Posons les cartes : transposer un biopic musical en substituant le corps de son héros par une créature animée est une idée que l’on ne voit pas tous les jours. Ce geste esthétique est l’innovation la plus criante du film — une audace qui transforme le récit en fable presque animalière et ouvre des possibilités métaphoriques évidentes. Toutefois, l’originalité visuelle n’implique pas automatiquement une révolution narrative. Parfois, le recours intensif au CGI et au symbolisme gomme des nuances qui auraient gagné à être explorées à plus petite échelle. Autrement dit : l’idée crée des étincelles, mais le feu n’est pas toujours contrôlé.

Emotion ou machine à jouer ?

Jonno Davies livre une performance physique convaincante — la capture de mouvement exige résistance, subtilité et un sens du rythme qui n’a rien d’évident — et Williams, en contrepoint vocal, apporte l’authenticité d’un artiste qui se prête au jeu de l’auto-examen. Steve Pemberton et Alison Steadman offrent, chacun à leur façon, des contrepoints humains solides qui ancrent les volées d’effets. Il reste que la nature hybride du protagoniste — à la fois synthétique et intimement vocale — crée parfois de la distance émotionnelle : on est frappé par la technique plutôt que par la chair. Malgré tout, quand la scène demande de la vulnérabilité pure, le film trouve des instants où l’émotion passe, et passe bien.

Quand la métaphore tourne à la farce heureuse

Et c’est là que j’enfile mes lunettes ironiques : l’idée de représenter Robbie Williams comme un singe a un potentiel comique énorme, volontairement exploité par le film. Le burlesque surgit quand les numéros orchestrés cherchent à être majestueux mais se retrouvent saupoudrés d’un je-ne-sais-quoi de cabotin — un mouvement d’acteur un brin trop marqué, un plan large qui semble applaudir l’absurdité de la star, une réplique scandée comme si l’on donnait une leçon de vie sous forme de sketch. Ces ruptures de ton, parfois voulues, parfois accidentelles, donnent au film une couleur hybride : sérieux dans sa confession, parfois franchement clownesque dans sa forme. Autrement dit, Better Man est un drame musical qui s’autorise des glissades comiques. Et franchement, ça le rend plus attachant.

Spectacle frustrant ou délivrance euphorique ?

Musicalement, le film oscille entre la nostalgie et la réinvention. Williams a réenregistré plusieurs de ses titres, et le montage musical vise autant l’émotion brute que le show. Sur certaines scènes, la musique fonctionne comme un anesthésiant qui rend la douleur supportable ; sur d’autres, la mise en scène show-biz un peu trop appuyée empêche la chanson d’atteindre toute sa sincérité. Le bilan est donc double : il y a des séquences où le spectacle emporte, et des moments où le spectacle masque la faille. Dans une comédie involontaire, on dirait que l’orchestre a décidé de se lancer dans l’improvisation… et c’est souvent réjouissant.

Entre ovation critique et désastre financier

Le film a reçu une attention importante dans les circuits festivalier et récompenses : il a été présenté en avant-première dans plusieurs festivals et a récolté un nombre notable de nominations et prix, notamment aux AACTA Awards où il a remporté plusieurs trophées majeurs. Côté critiques, la réception est globalement favorable chez certains critiques majeurs, qui ont salué l’audace visuelle et le travail de performance ; d’autres ont pointé un déséquilibre entre la forme et l’âme. Sur le plan commercial, le film n’a pas trouvé son public au box-office — un contraste intéressant entre la reconnaissance critique et la réticence du grand public.

Bon ou mauvais ?

Si je dois trancher sans m’embarrasser de fausse pudeur : Better Man est un film qui mérite d’être vu pour son audace. Il se regarde comme un pari visuel — parfois héroïque, parfois sot — et propose des moments de grâce mêlés à des ratés délicieux. Le spectacle de voir une star contemporaine littéralement transformée en créature scénique est à la fois émouvant et comique ; l’expérience provoque le rire nerveux autant que l’empathie. S’il manque parfois de modestie narrative, il compense par une volonté d’inventer une forme nouvelle pour le biopic musical. Et pour un critique au ton ironique, ces maladresses volontaires ou non sont des cadeaux : elles offrent des instants où l’art tutoie la farce et en ressort singulièrement vivant.

Robbie William raconte

Allez voir Better Man si vous aimez les propositions qui prennent des risques formels, si vous êtes curieux de la façon dont le cinéma moderne peut traduire une identité artistique par le prisme du langage visuel, ou si vous avez une nostalgie coupable pour les chansons de Robbie Williams. Évitez-le si vous réclamez un biopic linéaire, rigoureusement fidèle aux faits, ou si la vue d’un chimpanzé chantant vous met plus mal à l’aise qu’en joie. Enfin, si vous aimez les films qui rient souvent malgré eux, préparez-vous à sourire à voix haute.

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Charles-Henry

En perpétuelle recherche de nouveautés culturelles en tout genre.

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